ExPEERience Talk #13 : Rendre justice sans tribunal ? Expériences de justice communautaire en Ituri

  • Quand ? Jeudi 29 février – 12h (Bangui, Bruxelles, Kinshasa, Niamey, Rabat, Tunis) / 14h (Dodoma, Nairobi, Kampala)
  • Langue : Français
  • Événement gratuit en ligne – Big Blue Button

Á l’occasion de cet ExPEErience Talk, Julien Moriceau et Janvier Digital Koko Kirusha d’INANGA, ainsi que Johnny Lobho Lamula d’ASF en RDC, présenteront une étude sur la justice communautaire en Ituri qui sera très prochainement rendue publique.

Elle s’inscrit dans le cadre de la Politique Nationale de Réforme de la Justice (PNJR) 2017-2026 et du Programme d’Appui à la Réforme de la Justice Phase II (PARJ II) géré par le consortium formé par Avocats Sans Frontières, RCN Justice & Démocratie et TRIAL.

Cette étude a pour but d’apporter des éclairages sur le fonctionnement de la justice communautaire en Ituri ainsi que sur les liens entre tou‧te‧s les acteur‧rice‧s et les parties prenantes impliqué‧e‧s dans les processus de résolution de litiges tant au niveau communautaire qu’étatique.

En parallèle à l’existence du système judiciaire étatique, la justice communautaire continue d’être très sollicitée par la population en RDC malgré un statut juridique ambigu. C’est le cas particulièrement en Ituri, région marquée par une instabilité et une insécurité qui impactent fortement le bon fonctionnement et l’activité des tribunaux et des différents mécanismes de justice étatique.

Une grande diversité d’acteur‧rice‧s tant communautaires qu’étatiques interviennent dans la résolution de litiges en Ituri. Chacun‧e d’eux‧elles a des mécanismes distincts avec des procécdures propres. Les cours et tribunaux ainsi que les forces de l’ordre vont justifier leur action en invoquant les procédures juridiques et le droit écrit tandis que les acteur‧rice‧s au niveau communautaire (chef‧fe‧s coutumier‧ère‧s, acteur‧rice‧s religieux‧ses et associations culturelles) vont avoir recours à des sources telles que la coutume, le droit congolais ou les valeurs religieuses pour traiter les litiges.

Les justiciables invoquent de nombreuses raisons pour expliquer pourquoi il‧elle‧s tendent à privilégier le recours aux mécanismes communautaires plutôt qu’à la justice civile. Tout d’abord : la proximité. Dans la province de l’Ituri, et comme c’est souvent le cas en République démocratique du Congo, les cours et tribunaux sont concentrés dans les principales agglomérations. Les justiciables issu‧e‧s des régions rurales doivent donc souvent parcourir de longues distances pour y accéder. Cette entrave à l’accès aux juridictions civiles est d’autant plus important en Ituri que la persistance des conflits armés rend les longs déplacements particulièrement dangereux.

Ensuite, le recours aux mécanismes communautaires est le plus souvent gratuit pour les populations, contrairement à la justice étatique qui, en plus d’être lente, est souvent très coûteuse. Enfin, les acteur‧rice‧s communautaires connaissent les coutumes locales, sont proches des populations, parlent leur langue et tendent à trouver des solutions durables en mettant l’accent sur le retour de la paix sociale.

ExPEERience Talk #13

Rejoignez-nous ce jeudi 29 février pour discuter davantage des enjeux soulevés par la coexistence de cette multiplicité d’acteur‧rice‧s actif‧ve‧s dans la résolution des litiges en Ituri.

Le rapport annuel d’ASF est disponible !

L’équipe d’Avocats Sans Frontières est ravie de pouvoir vous présenter son dernier rapport annuel.

Que de chemin parcouru depuis la création d’ASF en 1992 par des avocat.e.s belges. Durant ces 30 années, ce sont des centaines de personnes qui ont contribué à faire évoluer l’organisation pour qu’elle devienne ce qu’elle est aujourd’hui : une organisation militante active dans une dizaine de pays qui œuvre pour la promotion de l’accès à la justice et d’un État de droit fondé sur les droits humains en étroite collaboration avec des acteur.rice.s locaux.les.

Ces trente années d’action, les ancrages locaux que nous avons développés et les liens que nous avons tissés avec des défenseur.e.s des droits humains des quatre coins du monde nous donnent beaucoup de force et de confiance pour envisager l’avenir et poursuivre le déploiement d’une action impactante au service des populations en situation de vulnérabilité (femmes, enfants, communauté LGBTQI+, minorités ethniques, personnes en situation de détention, personnes en situation de migration, etc.).

Mais les défis sont nombreux. Partout à travers le monde, les organisations de la société civile et les défenseur.e.s des droits humains font face à des évolutions et des tendances inquiétantes : montée des autoritarismes, rétrécissement de l’espace civique, défiance croissante des populations envers les institutions, tensions sociales exacerbées, etc.

Les défenseur.e.s des droits humains et de l’accès à la justice doivent travailler dans des contextes qui leur sont de plus en plus hostiles. Les notions mêmes de droits humains et d’État de droit sont remises en question. Les activistes, les avocat.e.s et les journalistes qui œuvrent pour la défense des droits fondamentaux des populations en situation de vulnérabilité sont de plus en plus systématiquement visés par des politiques répressives illibérales.

Chaque page de ce rapport témoigne de la vigueur de la flamme qui anime celles et ceux qui s’engagent pour maintenir les droits humains au cœur même de nos sociétés, au risque et au péril de leur propre liberté. Ce rapport est un hommage à chacune et chacun d’eux.elles.

Indonésie : 5 ans à soutenir l’accès à la justice

En 2017, ASF lançait ses activités en Indonésie avec deux partenaires locaux.les. Dans le cadre de cette collaboration, nous avons œuvré pour accroître l’accès aux mécanismes de justice formelle et informelle pour les groupes marginalisés et en situation de vulnérabilité, grâce à des services adaptés implémentés au niveau communautaire. Un accent particulier a été mis sur la formation et le soutien des parajuristes afin qu’il.elle.s puissent répondre aux besoin des populations locales en matière de justice.

Dans les pays où il y a très peu d’avocat.e.s par habitant, les parajuristes sont des praticien.ne.s qui ne possèdent pas de diplôme en droit mais qui ont une connaissance et une compréhension de base de la loi et donnent des conseils juridiques à la population. ASF a travaillé avec des parajuristes dans plusieurs de ses pays d’intervention car il.elle.s peuvent être des acteur.rice.s fondamentaux.les pour aider les populations locales à accéder à la justice.

Une étude de perception de base sur les parajuristes et le rôle qu’ils peuvent jouer dans le renforcement de l’accès à la justice a été réalisée au début du projet. Ses conclusions ont été utilisées pour créer des modules de formation. Ces modules ont ensuite été utilisés par plusieurs organisations locales pour renforcer les capacités des parajuristes. Ils abordent un large éventail de sujets, et on été adapté thématiquement et en fonction des zones géographiques afin de les rendre plus flexibles et utiles pour un maximum d’organisations. D’après nos partenaires, celui-ci fut particulièrement précieux pour promouvoir la réforme de la législation encadrant l’aide juridique adoptée à Bali en 2019.

Dans le cadre du projet, trois plateformes numériques ont été lancées pour soutenir les organisations de la société civile.

Un système de gestion des cas a été créé et est maintenant utilisé par plusieurs organisations pour gérer les cas sur lesquels elles travaillent dans une base de données. Il a été développé en open source afin que toute organisation d’aide juridique puisse l’utiliser librement.

Le système d’information parajuridique a été créé pour aider les parajuristes à demander et à recevoir un soutien juridique de la part des avocat.e.s afin de les aider dans les affaires sur lesquelles il.elle.s travaillent.

Enfin, une application appelée E-resource a été créée pour permettre aux prestataires de services d’aide juridique d’accéder à des livres et autres ressources.

Pour soutenir les efforts de plaidoyer, une communauté de pratique a été créée avec de multiples parties prenantes travaillant sur les questions d’aide juridique. Elle a permis aux membres de débattre des futures réformes législatives à promouvoir.

Ces 5 années en Indonésie nous ont permis, ainsi qu’à nos partenaires, de tirer des conclusions importantes concernant l’accès à la justice dans la région. Tout d’abord, il est indéniable que les parajuristes jouent un rôle essentiel pour subvenir aux besoins des populations locales en matière de justice. Leur statut doit être davantage reconnu par les autorités locales et nationales. Deuxièmement, la production de modules de formation flexibles avec la possibilité de choisir les matériaux est plus facile à reproduire et devrait être privilégiée par rapport à un module de formation unique. Enfin, même si l’utilisation de plateformes numériques pour renforcer les capacités des organisations de la société civile est prometteuse, elle s’est avérée très coûteuse et longue à mettre en œuvre. Elle doit être adaptée à chaque organisation, ce qui peut prendre des mois de discussions. La disponibilité d’un agent informatique et la maintenance par le biais d’une source de financement doivent être trouvées pour assurer la durabilité du service.

Clés pour l’accès à la justice en République centrafricaine

Engagée en République centrafricaine depuis 2015, Avocats Sans Frontières y mène divers projets et études visant à renforcer l’état de droit et promouvoir l’accès à la justice. Grâce à son travail de terrain, ASF a pu constater que face aux difficultés d’accès à l’avocat et à une justice étatique de qualité, les citoyens centrafricains ont largement délaissé la justice étatique au profit d’acteurs de proximité, tels que les chefs de quartiers, les leaders religieux, les organisations de la société civile, etc. Pour ASF, toute stratégie d’aide au développement ne tenant pas compte de cette pluralité d’acteurs et de pratiques de résolution de conflit ne correspond pas aux besoins et moyens d’action et est dès lors d’avance vouée à l’échec.

Une justice étatique défaillante

Les institutions judiciaires centrafricaines, déjà fragiles avant la crise de 2013, se sont effondrées lors de la crise. Dans leur parcours de justice, les Centrafricains doivent faire face à de nombreux obstacles. D’une part, le faible déploiement des tribunaux étatiques au-delà de la capitale compromet gravement l’accès matériel au prétoire de justice. D’autre part, les forces de l’ordre s’érigent bien souvent en instances de justice et traitent, en interne etsans compétences légales, les cas qui leur sont rapportés. Par ailleurs, de nombreux cas de corruption, d’extorsions, d’intimidations et de détentions arbitraires sont rapportés.

Des avocats peu accessibles

Le coût élevé des services, le manque criant d’effectif et la nature des cas traités (principalement en droit économique), rendent l’accès à un avocat peu réaliste pour une vaste majorité des Centrafricains. Les avocats jouissent malgré tout de la confiance de la population. Nombreux se disent prêts à leur confier leurs cas, à condition que la tarification soit proportionnée à leurs moyens.

Une justice alternative prépondérante

Face à la faible présence d’institutions judiciaires étatiques et à leurs dérives, de nombreux Centrafricains saisissent des forums de proximité pour résoudre leurs conflits (chefs de villages, chefs de quartiers, leaders religieux, etc.). Si elle a l’avantage d’être plus accessible, cette forme de justice – dite alternative – n’est pas exempte de toute critique. D’une part, elle crée des conflits de compétence et des confusions dans le chef de citoyens. D’autre part, des cas de discrimination, de corruption et d’intimidation y sont aussi dénoncés.

La nécessité d’envisager le système de justice centrafricain de manière holistique

Sur le terrain, ASF constate que beaucoup de stratégies mises en place pour améliorer l’accès à la justice en RCA se limitent au renforcement du système de justice étatique. Pour ASF, de telles stratégies ne tiennent pas compte de la pluralité d’acteurs et de pratiques et ne correspondent pas aux réalités de terrain, de sorte qu’elles sont vouées à l’échec. Partant, ASF exhorte l’ensemble des acteurs engagés pour l’accès à la justice en RCA à tenir compte de ces réalités et à adapter leurs stratégies d’intervention en conséquence. Pour en lire plus sur ces études, cliquez ici.
Photos © ASF / Gaïa Fisher – Cynthia Benoist

Les organisations de défense des droits humains, des acteurs devenus incontournables au Tchad

N’Djamena, le 27  juin 2019 – Au Tchad, ASF soutient les organisations de défense des droits humains (ODDH) dans le but de renforcer l’impact et la portée de leurs actions. En mars dernier, nous sommes partis à la rencontre des justiciables, des autorités locales, des acteurs judiciaires et des membres des ODDH, pour recueillir leurs opinions au sujet du travail de ces dernières. Au cours des entretiens menés à Bongor, Moundou et Sarh, l’ensemble des personnes interrogées ont témoigné de leur grande satisfaction à l’égard des activités des ODDH. Les justiciables saluent les campagnes de sensibilisation et les accompagnements individuels réalisés par les ODDH, qui leur permettent non seulement de prendre conscience de leurs droits, jusque-là méconnus, mais aussi de recevoir une aide précieuse pour rédiger leurs plaintes et requêtes. Ils appellent de leurs vœux l’intensification et l’expansion des activités des ODDH dans tout le pays, comme en témoigne ce bénéficiaire : « Par des orientations, des conseils et sensibilisations, les défenseurs des droits de l’homme aident véritablement tous ceux qui sollicitent leurs services. On va à tâtons et ce sont les ODDH qui nous aident.  »

S’ils admettent que certaines réticences envers les ODDH ont pu exister par le passé, les chefs de quartiers, les préfets et autres autorités provinciales reconnaissent aujourd’hui qu’il existe une convergence entre leur mission et celle des ODDH, à savoir assurer la sécurité des personnes et de leurs biens. Là où certains qualifient les ODDH de « boussoles qui nous guident dans notre mission » d’autres soulignent leur « travail remarquable. » Ils aspirent à une intensification des activités des ODDH et au renforcement et l’amélioration de leur collaboration. Les juges et les greffiers voient leur travail simplifié par le travail des ODDH. Ils constatent que les justiciables s’étant rendus devant les ODDH avant d’ester en justice sont mieux préparés aux audiences. Ils comprennent mieux leurs droits, maîtrisent mieux les procédures, sont munis de plaintes et requêtes de meilleure qualité et ont plus de facilités à répondre aux questions posées. Une greffière interrogée met tout de même en garde contre les pratiques de certains membres des ODDH, qui parfois poussent les justiciables à entamer des démarches qu’ils ne souhaitent pas entreprendre ou se montrent partiaux. Les procureurs attestent de la complémentarité de leur travail et de celui des ODDH : « A mon avis, la présence des ODDH sur le terrain est un atout pour le magistrat. Celui-ci est confiné dans son bureau, c’est le défenseur des droits de l’homme qui lui fournit plus d’informations sur les bavures. Le magistrat en tire les conséquences avant de mettre en mouvement l’action publique. C’est grâce aux défenseurs des droits de l’homme que nous apprenons des pratiques horribles qui se passent dans les zones reculées du Tchad. » Certains procureurs invitent tout de même les ODDH à être prudentes et à vérifier leurs informations, sans quoi les dénonciations sont parfois erronées. Les membres des ODDH interrogés rapportent quant à eux que si les relations avec les autorités dans certaines régions demeurent conflictuelles, une amélioration et une volonté de dialogue sont néanmoins observables. Ils regrettent qu’une forme de mécompréhension de leur rôle demeure et génère des relations conflictuelles avec certaines autorités et des confusions pour les citoyens. Ils entendent intensifier leurs activités pour y remédier et pour augmenter le nombre de personnes aidées, mais ne manquent pas de rappeler que de telles démarches seront limitées par leurs difficultés budgétaires. Ces entretiens ont été réalisés par le Collectif des Associations de Défense des Droits de l’Homme au Tchad, avec le soutien technique d’FAS et le soutien financier de l’Union européenne et de l’Ambassade de France au Tchad.   >> Téléchargez le photoreportage complet  
Photos © CADH & Saturnin Asnan Non-Doum pour le CADH et ASF

Soutenez les parajuristes, acteurs essentiels de la justice au Tchad

Bruxelles/N’Djamena, le 17 décembre 2018 – Le Tchad compte environ 12 millions d’habitants… et 135 avocats en exercice, presque tous basés dans la capitale N’Djamena. Heureusement, ils ne sont pas seuls pour défendre les droits de la population : encadrés et formés par des organisations nationales et par ASF, les parajuristes proposent des services d’aide légale aux personnes les plus démunies. Les parajuristes sont des hommes et femmes qui rendent le droit accessible à tous, de manière bénévole. Il s’agit le plus souvent de simples villageois et villageoises, non professionnels du droit. Leur action, complémentaire à celle des avocats, est cruciale : elle permet de résoudre les conflits sans acrimonie, dans le respect des droits de chacun, et de renforcer la paix et de la cohésion sociale. Ce sont de véritables ambassadeurs du droit auprès de la population. Bedjebedje, 60 ans, est parajuriste à Béré : « Ce qui me motive le plus, c’est l’apport que nous donnons à la société et la façon dont nous l’éduquons au droit. Mon souci est que justice soit faite. » Faites un don : aidez-nous à améliorer les conditions de travail des parajuristes et à assurer la qualité des services qu’ils délivrent. 40 euros permettent par exemple de prendre en charge leurs frais de déplacement et de communication pendant un mois, et d’atteindre ainsi des zones plus reculées. Mbaibai, 47 ans, mère de 5 enfants et parajuriste : « En raison du manque de moyens de transport, je me déplace à pied. Mais je m’estime contente et je suis optimiste. J’espère que les conditions de travail s’amélioreront un jour. » Faites un don: Si votre contribution atteint 40 euros, nous vous enverrons une attestation fiscale courant février. Le projet d’ASF avec les parajuristes au Tchad bénéficie pour une partie du soutien de l’Union européenne. Nous avons besoin de vous pour compléter ce financement et mener à bien toutes les activités prévues ! Nous vous remercions pour votre générosité et vous souhaitons de très belles fêtes de fin d’année.
PS: Le 19 mai 2019, nous montons une équipe pour courir les 20 km de Bruxelles au profit des parajuristes tchadiens. Rejoignez-nous, les inscriptions sont ouvertes !
Photos © Selma Khalil pour ASF

Combler l’écart entre la justice communautaire et juridictionnelle en Ouganda

Kampala, le 25 juillet 2018. En juin dernier, Avocat Sans Frontières a finalisé un module de formation à la médiation communautaire, avec trois organisations partenaires : Justice Centres Uganda, Legal Aid Service Providers Network et USAID-SAFE. Cette publication marque la fin d’un processus de conception très instructif et le commencement d’un engagement à long terme visant à combler un des écarts majeurs en terme d’accès à la justice en Ouganda : l’absence de connexion entre les formes d’accès à la justice utilisées par les citoyens dans leur quotidien, et celles fournies par les institutions formelles. En Ouganda, très peu de différends sont traités devant les tribunaux. Les juridictions formelles souffrent d’un encombrement massif et sont matériellement, financièrement, techniquement et psychologiquement inaccessibles pour les personnes démunies. En revanche, les mécanismes communautaires de résolution de conflits (en dehors du système juridictionnel formel), font partie intégrante de la culture ougandaise. Toutefois, alors qu’une vaste majorité d’Ougandais ont recours aux mécanismes locaux de médiation pour résoudre leurs différends légaux, la pratique révèle d’importantes failles dans leur fonctionnement. ASF et ses partenaires ont élaboré un module pour contrer certaines de ces failles. Plus spécifiquement, le module de formation vise à :
  • Uniformiser la définition et la compréhension de la médiation comme mode de résolution de conflits en Ouganda.
  • Assurer que les procédés de médiation et leurs résultats sont en accord avec les standards internationaux et ne reproduisent pas des discriminations de genre ou de tout autre type qui sont omniprésentes dans certaines structures traditionnelles.
  • Se concentrer sur les accords conclus à l’issue des médiations, dont les termes incitent d’une part les parties à respecter les décisions prises, et apportent d’autre part des garanties de forme et de fond qui peuvent encourager les institutions judiciaires à reconnaitre ces décisions.
Les six mois de conception du module ont constitué un processus d’apprentissage collaboratif. Des experts nationaux et internationaux et des acteurs locaux de trois régions d’Ouganda ont fourni la matière première du module. Un pool de six formateurs a été impliqué dans le processus de rédaction. Ceux-ci ont été formés aux méthodes d’éducation pour adultes et ont procédé à des tests sur le terrain, après quoi ils ont été certifiés pour former des médiateurs au niveau local. Les prochaines étapes viseront entre autres à créer des réseaux de médiateurs certifiés dans différentes régions d’Ouganda, afin d’assurer un soutien continu aux médiateurs communautaires et de maintenir des standards élevés pour les personnes usant de leurs services. La formation de médiateurs communautaires, ainsi que l’effort d’amener la pratique à mieux s’aligner sur les standards d’une justice impartiale et inclusive, font partie d’une approche partant de la base pour combler certaines failles institutionnelles en termes d’accès à la justice. Ces efforts doivent être complétés par une formalisation des liens entre justice communautaire et institutionnelle. Un système plus formel pour l’enregistrement des accords conclus entre parties, ainsi que la reconnaissance des résultats des médiations communautaires par le Justice Law and Order Sector (= secteur de la justice, de la loi et de l’ordre) sont nécessaires. Améliorer la communication entre les différents acteurs de justice peut aider à dissuader les pratiques abusant des faiblesses du système actuel, telles que le « forum-shopping » pratiqué par ceux en position de force permettant l’accaparement des terres et autres tentatives d’exploitation des plus vulnérables. Par ailleurs, cela contribuerait à réduire l’important engorgement des tribunaux ougandais. La pertinence du module a été réaffirmée à plusieurs reprises durant sa conception par des acteurs de la justice à tous les niveaux, dans un contexte où les conflits relatifs à la propriété foncière sont omniprésents entre membres des communautés. De nombreux projets de développement économique nécessitant l’acquisition massive de terres, comme ceux relatifs au pétrole sur le site d’Albertine Graben, et les initiatives actuelles du gouvernement pour établir un cadastre à l’échelle nationale risquent d’exacerber ces conflits. Les situations souvent complexes qui en résultent se nourrissent des déséquilibres de pouvoir et des failles dans le système de justice, et demandent des solutions pratiques. Une proche coopération entre un large ensemble d’acteurs impliqués dans la justice est indispensable afin de construire un système accessible, efficace et suffisamment flexible pour offrir des solutions durables aux nombreux types de conflits dans les différentes régions de l’Ouganda. >> Télécharger le Community-based mediation training guide (PDF en anglais)
Photo © ASF

Burundi: combler le fossé entre justice formelle et informelle

Bujumbura, le 20 mars 2018 – Début mars s’est tenu le premier atelier d’échanges entre les 90 avocats des deux barreaux du Burundi, sélectionnés pour collaborer au projet « Menya Utunganirwe » (Connais et revendique tes droits) d’ASF. L’objectif était notamment de les sensibiliser à l’utilisation des modes alternatifs de résolution des conflits (MARC). Non enseignés dans leur parcours de formation, les MARC sont peu connus des avocats. ASF estime qu’ils constituent pourtant un levier essentiel pour résoudre des conflits, et que les avocats ont un rôle primordial à jouer dans leur promotion. Au Burundi, certains MARC (médiation, négociation, conciliation…) existent dans la loi, mais ces mécanismes sont peu utilisés par les avocats. Me Salvator Kiyuku, Bâtonnier du Barreau de Bujumbura, estime que « le manque d’accès à la justice froisse le besoin de justice tant du citoyen que de l’avocat ». Ici, « l’occasion est donnée aux avocats d’être une voie, une voix et un être social pour assister les personnes que la douleur accable. » Pour mieux répondre aux besoins de la population burundaise, la justice doit être envisagée dans un sens large, dépassant ses aspects institutionnels et formels : une justice réconciliatrice, transformant le conflit destructeur en une opportunité de construire la paix durable pour le futur. Les avantages sont nombreux : moins couteuse en temps et en argent, cette justice offre le contrôle aux parties en conflit et préserve la confidentialité. Céline Laloux, Coordinatrice stratégie & développement d’ASF, a invité les avocats à « ouvrir leurs habitudes et leur pratique, à être des ‘avocats sans frontières’, afin progressivement de combler le fossé existant entre justice formelle et justice informelle, complémentaires l’une de l’autre. » Me Jean Bosco Bigirimana, Bâtonnier du Barreau de Gitega, ajoute qu’« un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès. ». Une remarque qui n’a pas manqué d’interpeller les avocats ! La réflexion autour des MARC a d’ailleurs suscité de nombreux questionnements sur le rôle des avocats au sein de la société et la perception de leur métier : « Si les parties ont trouvé un arrangement et que l’avocat n’a pas plaidé, sera-t-il payé ? », « Le client va penser qu’il n’a pas gagné s’il n’y a pas de jugement devant un tribunal »… Longin Baranyizigiye, Coordinateur recherche et apprentissage chez ASF, répond que dans sa pratique, l’avocat doit être bien informé et tracer un cadre avec son client. « Si le résultat est positif pour la relation entre les parties, le client sera satisfait et les qualités de l’avocat seront reconnues, » précise-t-il. Il invite les avocats à développer de bonnes pratiques innovantes lorsqu’ils accompagnent leurs clients dans un processus de conciliation. « C’est pour l’avocat une opportunité de sortir du cadre rigide de la procédure classique et de laisser s’exprimer son talent et sa créativité au service de son client. »
D’une durée de 5 ans (2017-2021), le projet « Menya Utunganirwe » est financé par la Coopération belge au Développement et mis en œuvre par ASF, les Barreaux de Bujumbura et Gitega, l’Association pour la Paix et les Droits de l’Homme et l’Association des Femmes Juristes.
Photo © ASF/H. Talbi

Cinq partenaires pour un meilleur accès à la justice au Burundi

Bujumbura (Burundi), le 7 décembre 2017 – Après plusieurs mois de préparatifs, le lancement officiel du projet «Menya Utunganirwe» («Connais et revendique tes droits») a eu lieu la semaine dernière à Bujumbura. Avocats Sans Frontières, les Barreaux de Bujumbura et Gitega et deux organisations de la société civile, l’Association pour la Paix et les Droits de l’Homme et l’Association des Femmes Juristes du Burundi, se retrouvent autour d’un objectif commun: rapprocher les justiciables de la justice, en en facilitant l’accès par des mécanismes de proximité qui répondent à leurs préoccupations et leurs attentes.

Bien qu’il s’agisse d’un droit reconnu, l’accès à la justice reste difficile pour la majorité des citoyens burundais. Un des défis rencontrés est la méconnaissance des procédures, due notamment à leur complexité et à un taux élevé d’analphabétisme. Les citoyens ne sont pas informés. «Vendre son lopin de terre pour payer une procédure judiciaire, est-ce une solution?» soulève Sistor Havyarimana, coordinateur de programme chez ASF. «Le justiciable doit pouvoir être informé des possibilités qui existent et faire un choix selon sa situation». La distance et le faible accès aux avocats limitent également l’accès à la justice. «Certains conflits s’enveniment : un simple conflit foncier peut engendrer un meurtre, alors qu’une intervention plus tôt aurait pu mener à une solution pacifique».

Monsieur Arcade Harerimana, Secrétaire Permanent au Ministère de la Justice et Mme Christella Kankindi, responsable du groupe de coordination «demande de justice», ont rappelé que le droit d’accès à la justice est consacré dans la politique sectorielle du Ministère. Néanmoins, tous deux ont souligné les obstacles qui subsistent pour de nombreux citoyens vulnérables. «Cette vulnérabilité peut être financière, personnelle (l’âge, la maladie, l’éducation, la religion…) ou encore liée à la nature du problème rencontré» précise Mme Kankindi.

C’est pourquoi ASF et ses partenaires s’engagent ensemble pendant cinq ans autour d’un projet qui s’articule en trois axes :

  • Renforcer le pouvoir d’agir des justiciables pour favoriser la prévention des conflits, en les rendant acteurs dans la réalisation et la revendication de leurs droits. Des facilitateurs communautaires, proches des citoyens, seront accompagnés pour répondre aux besoins d’information et d’orientation de la population. Il s’agit également de diversifier les modes de résolution de conflit.
  • Renforcer des mécanismes de justice indépendants, efficaces et de qualité, afin de contribuer à l’avènement de l’état de droit. Les compétences des avocats seront renforcées et ceux-ci seront formés sur des thématiques identifiées. La délivrance de services d’aide légale de qualité par les avocats sera également appuyée par ASF. Selon Maître Salvator Kiyuku, bâtonnier du Barreau de Bujumbura, les avocats sont soucieux de répondre aux défis que rencontrent les citoyens burundais. L’avocat a un rôle social à jouer et doit défendre les citoyens vulnérables ; « c’est une obligation morale, déontologique et sociale », a-t-il précisé.
  • Coordonner les acteurs de la justice et échanger sur les pratiques innovantes. Les mécanismes alternatifs de résolution de conflit et les mécanismes judiciaires sont vus comme complémentaires et les acteurs peuvent se renforcer mutuellement en créant un cadre de travail commun.

Le projet « Menya Utunganirwe » est financé par la Coopération belge au Développement.

>> Téléchargez le document de présentation du projet (PDF)

– Photo ci-dessus: La cérémonie officielle de lancement du projet s’est tenue le 1er décembre à Bujumbura © Papy Amani pour ASF – Photo de couverture: sensibilisation de la population de Matongo à la résolution des conflits fonciers © APDH

RD Congo: diversifier les modes de résolution des conflits

Kinshasa, le 16 juillet 2017 – Dans un pays comme le Congo, faire appel aux mécanismes judiciaires formels n’est pas toujours la meilleure solution pour régler pacifiquement les conflits. C’est pourquoi Avocats Sans Frontières y étend son appui aux acteurs de la justice de proximité: leaders communautaires et coutumiers, organisations de la société civile, parajuristes… Cette approche est au cœur du nouveau projet quinquennal de l’organisation, lancé officiellement début juin. Forte de quinze années d’expérience en RD Congo, ASF a récemment lancé un nouveau projet quinquennal (2017-2021) qui poursuit ses efforts en vue de répondre aux besoins toujours plus pressants des populations en matière de justice. « L’aide légale telle qu’on l’envisage classiquement, mise principalement sur les professionnels du droit, en cherchant trop souvent à porter les conflits devant les cours et tribunaux. Ces institutions de justice ne sont pourtant pas à même de répondre aux immenses besoins des populations, et le niveau de confiance du justiciable envers les institutions de justice formelle reste très faible », explique Gilles Durdu, Directeur pays d’ASF.
Atelier de lancement du projet quinquennal
L’amélioration de l’accès à la justice nécessite de diversifier les modes de résolution des différents et de soutenir les acteurs qui mettent en place des mécanismes innovants et alternatifs; comme par exemple la médiation. Ces derniers offrent de nombreux avantages : il s’agit d’une justice de proximité peu coûteuse, qui offre une célérité dans le règlement du litige, n’exige aucun formalisme particulier et met en avant la réparation et la réconciliation, assurant ainsi le maintien de la cohésion sociale. En outre, ces mécanismes participent au désengorgement des juridictions. Dans le cadre de son nouveau projet quinquennal, ASF appuie cette justice de proximité, tout en renforçant la collaboration avec le secteur formel (Barreaux, avocats, etc.) afin de garantir une protection holistique des droits des populations. Mgr Daniel Nlandu, évêque de Matadi et représentant de la Commission Diocésaine Justice et Paix, accueille très favorablement cette initiative, qui permettra d’apporter une réponse à « l’épineux problème des conflits sous toutes leurs formes, qui gangrène nos sociétés et a toujours été au cœur des priorités de notre Commission. ». Il exhorte l’ensemble des acteurs d’agir de concert, « pour le bien-être et la paix sociale de nos communautés ». Pour Irène Sifa Masumbuko, Ministre provincial de la justice et des droits humains du Nord-Kivu, « le rôle des avocats et de la société civile demeure prépondérant en vue de répondre aux demandes de justice des populations vulnérables ». Pour d’atteindre cet objectif, la Ministre a souligné « l’importance et la nécessité de combiner les efforts entre les institutions étatiques de la justice et  les organisations de la société civile et internationales ». Le projet prévoit de sensibiliser 25.000 personnes à leurs droits et aux moyens de les exercer, d’assurer une consultation juridique gratuite au profit de 4.500 bénéficiaires et de fournir une assistance juridique adaptée aux besoins et intérêts spécifiques de 1.750 personnes. Parallèlement, 100 acteurs facilitateurs de résolution pacifique des conflits seront formés afin d’assurer la délivrance de services de qualité. Le projet est réalisé avec le soutien de la Coopération belge au Développement, en partenariat avec les Barreaux de Goma et de Matadi, la Commission Diocésaine Justice et Paix et la Dynamique des Femmes Juristes. Il a été officiellement lancé le 7 juin à Kinshasa et a fait l’objet de deux premiers ateliers d’échange et de partage entre les différentes parties prenantes à Matadi et à Goma, respectivement du 13 au 15 et du 19 au 21 juin (voir photo ci-dessus). >>> Télécharger la plaquette de présentation du projet (PDF).
Photo de couverture: gestion communautaire des conflits au Kongo Central © ASF/Johnny Lobho Amula