En 2022, le bureau régional Afrique de l’Est d’ASF a lancé un projet couvrant trois pays de la région : le Burundi, la Tanzanie et l’Ouganda. L’objectif de ce projet est de contribuer à la promotion de l’État de droit en encourageant les organisations de la société civile à recourir à des courts, des organes, des mécanismes et des instruments régionaux de traités des droits humains, notamment en renforçant leurs capacités et leurs connaissances en la matière.
En pratique, le projet se concentre sur la promotion de l’utilisation des contentieux stratégiques comme outils d’influence, afin d’apporter des réformes positives dans les domaines de l’espace civique et des libertés civiles. Dans ses pays d’intervention, ASF a identifié des contentieux existants et en développement menés par des organisations de la société civile de la région. Le projet apporte un soutien financier et technique à ces organisations, les accompagne afin d’affiner leurs réflexions stratégiques et de renforcer leurs actions en couplant la mise en place de ces contentieux à des actions de plaidoyers notamment. Le projet, au vu de sa dimension régionale, a pour ambition d’appuyer les contentieux qui sont portés devant des mécanismes régionaux tels que la Cour de justice de l’Afrique de l’Est ou la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP).
Avec le soutien de l’Union panafricaine des avocats, ASF travaille sur le dépôt d’un contentieux devant la CADHP en matière de droit d’association, qui couvre une douzaine d’États africains. ASF a fait le constat, sur la base d’observations et d’analyses juridiques que les pratiques et lois régissant les ONG dans de nombreux États africains étaient en violation de la liberté d’association. Ces soumissions visent à faire respecter les libertés civiles fondamentales et à imposer aux États une obligation positive de réformer les lois en vigueur et de mettre fin aux pratiques portant atteinte au droit d’association.
ASF apporte également un soutien financier et technique à une pétition constitutionnelle déposée par des organisations de la société civile, dont Chapter Four, devant la Cour constitutionnelle de l’Ouganda, pour contester la constitutionnalité de la loi sur l’utilisation abusive de l’informatique votée en octobre 2022. Bien que cette loi controversée ait été saluée par le gouvernement comme une protection nécessaire de la vie privée à l’ère numérique, elle est perçue par de nombreuses OSC locales comme une atteinte aux libertés d’expression et de la presse.
Ce 11ème ExPEERience Talk sera consacré à la Campagne pour la décriminalisation de la pauvreté, du statut et de l’activisme. Plusieurs de ses membres viendront y présenter son histoire, son fonctionnement, ses premières victoires et aborderont les défis rencontrés et les opportunités que présentent la mise en réseau d’une multiplicité d’acteur.rice.s pour s’attaquer à un enjeu mondial et systémique d’une telle ampleur.
Partout dans le monde, en effet, des lois et des pratiques policières et pénales tendent à contrôler, arrêter et enfermer disproportionnellement les populations en situation de vulnérabilité ou de marginalisation (personnes pauvres ou sans-abri, personnes LGBTQI+, travailleur‧euse‧s du sexe, personnes migrantes, etc.). Les délits mineurs – mendicité, désordre sur la voie publique, consommation de drogues, vagabondage…- sont utilisés contre ces personnes dans le seul but de criminaliser ce qu’elles représentent dans la société plutôt que les délits qu’elles ont commis. On assiste aussi, dans de nombreux pays, à un rétrécissement de l’espace civique et à une instrumentalisation du droit pénal pour réprimer l’activisme et étouffer la dissidence. Ces phénomènes sont profondément ancrés dans les législations, institutions et pratiques des États à travers le monde.
Au cours de cet ExPEERience Talk, des intervenant.e.s, travaillant pour plusieurs organisations membres de la campagne, viendront illustrer les conséquences très concrètes de ces lois et pratiques liberticides sur la société civile et les populations. Il.elle.s évoqueront également différentes actions entreprises dans le cadre de la campagne : recherches conjointes, actions contentieuses et actions de plaidoyer devant les institutions nationales et internationales.
À ce jour, la campagne est portée par une cinquantaine d’organisations de la société civile issues de nombreux pays. Son ambition est de créer les conditions d’un changement global des lois, politiques et pratiques pénales et sociales en adoptant une stratégie transnationale et multisectorielle.
Intervenant‧e‧s
Khayem Chemli – Head of advocacy chez ASF – région Euromed (modérateur)
Soheila Comninos – Senior program manager chez Open Society Foundations
Arnaud Dandoy – Research & Learning Manager chez ASF – région Euromed
Le prochain ExPEERience Talk (webinar) organisé par ASF et son réseau Justice ExPEERience abordera le thème de la campagne pour la décriminalisation de la pauvreté, le statut et l’activisme. Il aura lieu le jeudi 5 octobre 2023 à 12h (Tunis) – 13h (Bruxelles). Vous pouvez d’ores et déjà vous inscrire, la participation est gratuite.
La Campagne pour la décriminalisation de la pauvreté, du statut et de l’activisme, lancée en Afrique, en Asie du Sud, en Amérique du Nord et dans les Caraïbes, est portée par une coalition d’organisations de la société civile qui plaident pour la révision et l’abrogation des lois qui visent les personnes en raison de leur statut (social, politique ou économique) ou de leur activisme.
Dans de nombreux pays, la procédure pénale, les codes pénaux et les politiques de maintien de l’ordre continuent de refléter un héritage colonial. Des délits datant de l’époque coloniale, tels que le vagabondage, la mendicité ou le désordre, sont couramment utilisés contre les personnes déjà en situation de vulnérabilité (sans-abri, personnes porteuses d’handicaps, usager‧ère‧s de drogues, LGBTIQ+, travailleur‧euse‧s du sexe, personnes migrantes…), dans le seul but de criminaliser ce qu’elles représentent dans la société plutôt que les délits qu’elles ont commis.
Parallèlement, dans plusieurs de ces pays, on assiste à une instrumentalisation du droit pénal pour réprimer l’activisme et étouffer la dissidence. Les lois sur la sédition datant de l’époque coloniale et les lois plus récentes sur l’ordre public, par exemple, sont des outils omniprésents déployés par les États pour étouffer les protestations et limiter la liberté d’expression. Les États utilisent l’appareil sécuritaire, la justice et la détention à l’encontre de personnes et de groupes qui ne représentent pas un danger pour la sécurité des citoyen.ne.s, mais plutôt pour le maintien du statu quo et les privilèges d’une minorité.
Cet abus de pouvoir a un coût profond en termes de droits humains, se manifestant par la discrimination, le recours à la force létale, la torture, l’emprisonnement arbitraire et excessif, des condamnations disproportionnées et des conditions de détention inhumaines. Cette situation, à laquelle s’ajoutent des formes d’oppression croisées, basées sur le sexe, l’âge, le handicap, la race, l’origine ethnique, la nationalité et/ou la classe sociale de personnes déjà en situation de marginalisation. Les populations les plus touchées par cette criminalisation du statut, de la pauvreté et de l’activisme sont aussi celles qui sont le plus affectées par des phénomènes tels que la surpopulation carcérale, la détention provisoire, la perte de revenus familiaux, la perte d’un emploi, etc.
En 2021, la campagne, qui regroupe des avocat.e.s, des juristes, des membres du pouvoir judiciaire, des militant.e.s et des expert.e.s de plus de 50 organisations, a remporté des victoires importantes, notamment suite à des procès historiques contre diverses lois devant des tribunaux nationaux en Afrique. Nous pouvons citer l’adoption des principes sur la décriminalisation des délits mineurs par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et l’établissement par le Parlement panafricain en 2019 de lignes directrices pour une loi normative/modèle sur la police.
La Campagne représente donc une véritable opportunité pour un changement global des lois, politiques et pratiques pénales et sociales. Pour la première fois, la société civile se concentre sur les dysfonctionnements communs de la chaîne pénale et établit, entre autres, des liens entre la législation coloniale en matière de textes pénaux et la criminalisation de la pauvreté, dans un contexte mondial de rétrécissement de l’espace civique.
La campagne, à ce jour, est organisée à travers plusieurs comités : un comité mondial, dont ASF fait partie, et des sous-groupes thématiques et géographiques afin de garantir une meilleure représentativité des acteur.rice.s et un plus grand impact.
Avocats Sans Frontières est membre respectivement des comités de coordination des sous-groupes Francophonie et Afrique du Nord. Cette structuration voulue par la campagne vise à renforcer davantage les objectifs de recherche, les priorités et les cibles en matière de plaidoyer et de sensibilisation.
Á l’occasion du 18eme Sommet de la Francophonie, qui s’est tenu à Djerba le 19 et le 20 Novembre 2022, ASF et ses partenaires au sein de la coalition Tunisienne pour la dépénalisation des délits mineurs et de la pauvreté, ont organisé un événement-parallèle à Djerba durant lequel des revendications ont été formulées à l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), contenues dans un document public s’intitulant la « Déclaration de Djerba ». Les signataires estiment que l’OIF pourrait et devrait jouer un rôle central dans la promotion des valeurs des droits humains, et promouvoir la décriminalisation des infractions mineures qui, outre leur caractère discriminant, aggravent les phénomènes de surpopulation carcérale, qui sont eux-mêmes responsables de l’aggravation des conditions de détention inhumaines et dégradantes.
Le sous-groupe francophone, dont ASF est membre, a entamé une série de rencontres internes de concertation en mars 2023. Celles-ci doivent aboutir à la rédaction d’une charte qui rassemblera la vision et les objectifs communs de ses membres. Elle servira de base à la mise en place d’une stratégie de plaidoyer vis-à-vis des acteur.rice.s d’influence, à l’instar de l’Union européenne et ses États membres, l’Union Africaine et ses États membres, les différentes institutions européennes responsables des politiques de coopération, ainsi que les institutions et différents mécanismes des Nations Unies.
En 2018, ASF a pris la décision de créer un hub régional dans la région Euro-Méditerranée, basé à Tunis, dans le but de mutualiser les moyens et de renforcer et harmoniser son action dans la région. L’aspect novateur du bureau régional est d’assumer pleinement les liens historiques, économiques, politiques et culturels qui existent entre les deux rives de la Méditerranée, et de les prendre en compte pour mettre en place une action au niveau régional qui soit cohérente et efficiente.
Le hub Euromed est composé de cinq membres et des directeur.rice.s pays du Maroc et de la Tunisie. Il collecte et analyse des données de terrain afin d’orienter les processus décisionnels aux niveaux national et européen. Le hub encadre stratégiquement les bureaux de la région et identifie les opportunités de développement et de consolidation de réseaux partenariaux tant au niveau national que régional. Le hub apporte également un soutien technique aux bureaux pays en matière de gestion financière et de ressources humaines.
Trois sujets éminemment transnationaux et globaux, qui façonnent, à leur manière, les relations entre les deux rives de la Méditerranée ont été identifiés et constituent les priorités thématiques pour la région :
a) La migration : tous les pays du sud de la méditerranée sont des pays d’origine (Tunisie, Maroc) et de transit (Algérie, Libye) de migrant.e.s. Du côté européen, la migration prend une place démesurée dans le débat public et les politiques mises en place par l’Union européenne et ses membres bafouent les droits fondamentaux des personnes migrantes.
b) Libertés et Sécurités : la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent peuvent donner lieu à des politiques publiques restrictives des libertés et de l’espace civique et entraver les transitions démocratiques et les libertés fondamentales des populations. C’est vrai au sud et au nord de la mer méditerranée, où une multiplication d’exceptions faites au principe de l’État de droit pour des raisons sanitaires et sécuritaires menace les « démocraties consolidées » du continent européen.
c) Lutte contre l’impunité des acteur.rice.s économiques : les intérêts économiques entretiennent un système de dépendance du Sud vers le Nord de la Méditerranés. La conduite des acteur.rice.s économiques européen.ne.s en Afrique a un impact important sur l’accroissement des inégalités sociales et sur l’environnement et peut, parfois, être un facteur déterminant de conflit (tant au niveau local, national qu’international).
L’équipe d’Avocats Sans Frontières est ravie de pouvoir vous présenter son dernier rapport annuel.
Que de chemin parcouru depuis la création d’ASF en 1992 par des avocat.e.s belges. Durant ces 30 années, ce sont des centaines de personnes qui ont contribué à faire évoluer l’organisation pour qu’elle devienne ce qu’elle est aujourd’hui : une organisation militante active dans une dizaine de pays qui œuvre pour la promotion de l’accès à la justice et d’un État de droit fondé sur les droits humains en étroite collaboration avec des acteur.rice.s locaux.les.
Ces trente années d’action, les ancrages locaux que nous avons développés et les liens que nous avons tissés avec des défenseur.e.s des droits humains des quatre coins du monde nous donnent beaucoup de force et de confiance pour envisager l’avenir et poursuivre le déploiement d’une action impactante au service des populations en situation de vulnérabilité (femmes, enfants, communauté LGBTQI+, minorités ethniques, personnes en situation de détention, personnes en situation de migration, etc.).
Mais les défis sont nombreux. Partout à travers le monde, les organisations de la société civile et les défenseur.e.s des droits humains font face à des évolutions et des tendances inquiétantes : montée des autoritarismes, rétrécissement de l’espace civique, défiance croissante des populations envers les institutions, tensions sociales exacerbées, etc.
Les défenseur.e.s des droits humains et de l’accès à la justice doivent travailler dans des contextes qui leur sont de plus en plus hostiles. Les notions mêmes de droits humains et d’État de droit sont remises en question. Les activistes, les avocat.e.s et les journalistes qui œuvrent pour la défense des droits fondamentaux des populations en situation de vulnérabilité sont de plus en plus systématiquement visés par des politiques répressives illibérales.
Chaque page de ce rapport témoigne de la vigueur de la flamme qui anime celles et ceux qui s’engagent pour maintenir les droits humains au cœur même de nos sociétés, au risque et au péril de leur propre liberté. Ce rapport est un hommage à chacune et chacun d’eux.elles.
L’Alliance Sécurité et Libertés (ASL), dont ASF est membre, publie son cinquième rapport sur l’État de droit et l’état des libertés en Tunisie. Amorcé au lendemain du coup de force du Président Saïed le 25 juillet 2021, le travail de monitoring et d’analyse quantitative et qualitative mené par ASL revient dans cette cinquième édition sur les événements, décisions et réactions qui ont suivi le vote controversé de la nouvelle Constitution tunisienne le 25 juillet 2022.
Il y a plus d’un an et demi, le 25 juillet 2021, le Président Saïed activait en effet l’article 80 de la Constitution et instaurait un état d’exception. Cette date a marqué le début de son entreprise de démantèlement des institutions issues de la transition post-2011 : parlement gelé puis dissous, instances constitutionnelles dissoutes, pleins pouvoirs par décret, ratification d’une Constitution unilatéralement rédigée par Saïed et votée dans des conditions délétères…
Le tableau que dresse ce bulletin laisse peu de doutes quant aux desseins autocratiques du Président Saïed et sa volonté de clore définitivement le chapitre de la transition démocratique en Tunisie. Il impose de manière unilatérale un projet politique aux contours flous mais assurément vertical, autoritaire et populiste.
Plusieurs tendances et évolutions se dégagent du travail de monitoring et d’analyse de l’Alliance Sécurité et Libertés.
Au niveau institutionnel, la période a été marquée par le vote et la ratification de la nouvelle Constitution consacrant l’hypertrophie de l’exécutif au détriment des pouvoirs législatif et judicaire, considérablement affaiblis. Les scrutins ayant mené au vote de la Constitution et à l’élection de la première chambre du Parlement se sont caractérisés par leur incompatibilité avec les normes électorales et des taux de participation historiquement bas. Le pouvoir judiciaire continue quant à lui d’être attaqué et démantelé, le tout sur fond de crise socio-économique majeure.
En parallèle, les droits et libertés continuent de s’éroder, dans un contexte d’instrumentalisation de la justice et de l’appareil sécuritaire, et de répression des opposant.e.s, de la presse et des syndicats. Les mesures administratives arbitraires de restrictions des libertés et l’adoption de décrets-lois liberticides sont devenues des pratiques courantes. Ces derniers mois ont aussi été marqués par une campagne de violences racistes – soutenues par la rhétorique haineuse de l’État – envers les populations subsahariennes, à l’heure où toujours plus de migrant.e.s (Tunisien.ne.s ou non) tentent de rejoindre l’Europe par la mer au péril de leur vie.
Enfin, l’étau se resserre toujours davantage sur une opposition qui peine à faire front uni face au régime. La scène politique demeure instable et mouvante. Plusieurs initiatives d’opposition (civiles et politiques) coexistent mais ne parviennent pas à constituer une force d’opposition en capacité de mettre à mal les desseins autoritaires du Président, tandis que certain.e.s de ses allié.e.s prennent leurs distances.
Sur la scène internationale, la Tunisie s’isole. Les condamnations s’enchaînent et s’intensifient même depuis les vagues d’arrestations de personnalités publiques de ces derniers mois et le déploiement d’une rhétorique xénophobe à l’encontre des migrant.e.s subsaharien.ne.s. C’est dans ce contexte que le Président engage des efforts diplomatiques, notamment auprès des États arabes, pour obtenir des soutiens à l’international.
L’Alliance pour la Sécurité et les Libertés
L’Alliance pour la Sécurité et les Libertés (ASL) est une alliance d’organisations de la société civile tunisienne et internationale basée en Tunisie qui, dans la continuité de la Révolution de la Liberté et de la Dignité, réfléchit, mobilise et agit pour que la Tunisie consolide la construction d’un Etat démocratique dont les politiques publiques sont au service des citoyens garantissant la paix, le respect de leurs droits humains et de l’égalité entre toutes et tous.
Rapports
Quatre bulletins périodiques ont déjà été publiés 50, 100, 200 et 365 jours après le 25 juillet 2021. Retrouvez tous les rapports de l’Alliance Sécurité et Libertés.
L’Association internationale des jeunes avocats (AIJA) et ASF sont profondément inquiètes quant à la détention de l’avocat défenseur des droits de l’homme Malek Adly au Caire, depuis son arrestation la semaine dernière. Les deux organisations lancent un appel pour le respect du libre exercice des professions juridiques en Égypte.
Adly est un éminent avocat des droits de l’homme et dirige le Réseau des avocats du Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux (ECESR). Il est aussi le co-fondateur du Front de défense des manifestants égyptiens, un groupe composé de 34 organisations de défense des droits de l’homme et de plusieurs avocats, qui documente les pratiques illégales employées par les forces de police contre les manifestants pacifiques.
Un mandat d’arrêt a été lancé contre M. Adly le 23 avril 2016 à la suite d’une manifestation contre la décision du président Abdel Fattah el-Sisi de céder deux îles de la mer Rouge sous administration égyptienne à l’Arabie Saoudite, et contre les abus des droits de l’homme commis par les forces de sécurité égyptiennes. L’arrestation de M. Adly fait suite à une vague d’arrestations dans le pays liée aux manifestations organisées contre cette décision du président égyptien, et qui concernerait plus de 1.200 personnes.
Selon les avocats de M. Adly, celui-ci a été violemment battu par le personnel de sécurité lors de son arrestation le 5 mai 2016, et ils ont déposé plusieurs plaintes auprès de différentes autorités sur les violations commises à son égard lors de son arrestation et de l’enquête.
Adly va rester en garde à vue pendant 15 jours, le temps qu’une enquête soit menée sur base d’une série de présomptions à son encontre, qui incluent une tentative de renversement du régime en place, l’affiliation à une organisation interdite, et la diffusion d’informations fausses, présomptions qu’il a niées lors de son interrogatoire.
L’AIJA et ASF appellent les autorités égyptiennes à respecter sans condition la Constitution égyptienne et leurs obligations internationales, et à respecter les droits fondamentaux tels que la liberté d’expression et le droit de libre exercice de la profession d’avocat.
En tant qu’ONG internationale spécialisée dans l’accès à la justice, ASF a mis en place un programme régional pour promouvoir et améliorer le champ de la liberté d’expression dans la région d’Afrique du nord et du Moyen-Orient. La répression menée actuellement contre des avocats tels que Malek Adly, Ahmed Abdallah, président du Conseil de la Commission égyptienne pour les droits et les libertés (ECRF) arrêté le 25 avril dernier, et de nombreux autres défenseurs des droits de l’homme constitue une menace sérieuse pour la liberté d’expression en Égypte.
Avec ASF, M. Adly était intervenu lors de la conférence annuelle de 2015 de l’AIJA à Londres où il avait présenté les enjeux et les difficultés du travail d’ avocat en droits de l’homme dans le contexte du soulèvement national et de la transition démocratique en Égypte. Son discours liminaire sur le rôle des avocats dans la défense de la liberté d’expression avait sensibilisé nombre de jeunes avocats européens.
Kinshasa, 7 mars 2016 – En RD Congo, défendre les droits des victimes d’injustice et exercer ses libertés fondamentales reste un défi. Face à un système de justice souvent défaillant et, parfois, aux intimidations, des hommes et des femmes poursuivent un idéal : vivre dans un monde plus juste. Deuxième de trois rencontres : la journaliste Nathalie Kapela, spécialisée dans les questions de justice.
Originaire de Kinshasa, Nathalie Kapela a une formation en communication et est active dans le secteur de l’information depuis 2000. Très vite, elle s’intéresse à des sujets sensibles comme la surexploitation forestière et le manque de respect des législations en la matière. Or, la presse congolaise manque de moyens : 80 % des chaînes de télévision et de radio sont commerciales, donc dépendantes des annonceurs, ou sont soutenues par des hommes politiques. « Dans ces conditions, traiter des sujets dits orientés devient vite problématique », explique Nathalie Kapela.
L’intérêt de la jeune femme pour les questions juridiques se confirme à l’occasion d’un reportage qu’elle réalise dans une commune périphérique de la capitale congolaise. « J’ai été choquée de découvrir les conditions de vie précaires des gens. Le décalage entre ce que je commentais sur antenne et la réalité sur le terrain était trop énorme », raconte la journaliste-présentatrice. Elle décide de quitter la chaîne de télévision qui l’emploie et de se consacrer aux enjeux des droits humains et de bonne gouvernance.
En 2008, elle crée sa maison de production vidéo. Son premier reportage est consacré à la corruption dans la magistrature. « Je voulais montrer que celui, riche ou pauvre, qui enfreint la loi, doit être puni », se souvient-elle.
Les reportages présentés dans son émission « Actualité judiciaire » sont diffusés en TV, notamment grâce à divers financements internationaux. Elle entreprend alors des démarches administratives pour faire protéger le concept de son émission mais constate très vite des blocages, et ce jusqu’au niveau ministériel. « J’ai donc décidé de dénoncer cette situation sur antenne. Suite à ça, c’est comme si la foudre m’était tombée dessus : mon émission est suspendue ! ». Face à cette suspension, la journaliste dépose plainte devant le Conseil Supérieur de l’audiovisuel et de la communication. Sans succès, malgré le soutien public de différents pays européens. « J’ai ensuite été convoquée pour dénonciation calomnieuse. J’ai même reçu des menaces par SMS », témoigne Nathalie Kapela.
Aujourd’hui, sa demande de supprimer la suspension de son émission est pendante devant la Cour suprême. « Depuis 2014, ASF me soutient avec deux avocats qui suivent l’affaire au niveau de la Cour », précise la journaliste qui a entre-temps réalisé de nouveaux reportages diffusés sur d’autres chaines TV.
En attendant une décision de justice, Nathalie Kapela poursuit son combat, malgré les pressions et les intimidations sur elle et son équipe. « Ce que je crains le plus ? C’est de perdre mon pari : vivre dans un pays sans injustice. Car ici, la pauvreté est criante et la corruption est une pratique courante. Mais avec nos émissions, la culture judiciaire avance. Les gens s’informent, réagissent. C’est cette conviction du changement en faveur du respect des droits humains qui me porte ».
Rabat/Bruxelles, le 15 janvier 2016 – Hicham Mansouri, l’activiste des droits humains marocain, sera libéré ce 17 janvier, après avoir été condamné pour un délit de complicité d’adultère à 10 mois de prison et une amende de 20.000 dirhams. Avocats Sans Frontières (ASF) s’inquiète de la pratique de harcèlement judiciaire à l’encontre des acteurs de la liberté d’expression. A l’occasion de la publication de son rapport d’observation du procès Mansouri, l’ONG rappelle toute l’importance de respecter les droits de la défense et les exigences du procès équitable.
Le 17 mars 2015, une dizaine de policiers en tenue civile forçaient la porte d’entrée de la résidence de M. Mansouri, à Rabat. Aucun mandat d’arrêt ne lui avait été présenté au moment de l’arrestation. M. Mansouri avait été passé à tabac et déshabillé sur place, puis arrêté avant d’être placé en détention préventive dans l’attente de son procès. Par ailleurs, M. Mansouri n’avait pas été en mesure de contacter sa famille ou son avocat pendant les premières vingt-quatre heures de sa détention.
Le 30 mars 2015, le Tribunal de première instance de Rabat a condamné M. Hicham Mansouri à dix mois de prison fermes et à 20.000 dirhams d’amende (soit près de 2.000 euros) pour complicité d’adultère en vertu du Code pénal marocain.
ASF avait organisé l’observation judiciaire de ce procès par le biais d’un avocat, membre de l’International Legal Network d’ASF. Cette intervention s’inscrivait dans le cadre du projet Kalima d’ASF, qui vise à promouvoir la liberté d’expression et la protection des journalistes et des bloggeurs au Maroc, en Tunisie et en Egypte.
A l’occasion de la sortie de prison de M. Mansouri, ASF publie le rapport d’observation de son procès. Ce rapport soulève un certain nombre de questions cruciales autour de ce qui est censé être une simple affaire de mœurs : pourquoi avoir recouru à la détention préventive du prévenu ? Pourquoi les autorités judiciaires ont-elles traité cette affaire si vite ? Pourquoi les services de sécurité ont-ils mis en place un dispositif de sécurité si important lors des audiences ?
« Ces différentes mesures pourraient trouver leur origine dans la dimension politique de cette affaire. Hicham Mansouri est un activiste des droits humains, connu pour son engagement pour la promotion des libertés publiques et principalement, de la liberté de la presse. Son procès s’inscrit dans une pratique malheureusement assez courante, qui consiste à entraver le travail des défenseurs de la liberté d’expression, par le biais de poursuites judiciaires de droit commun », analyse Chantal van Cutsem, Coordinatrice stratégique ASF pour les pays d’Afrique du Nord et du Moyen Orient.
Deux semaines après sa libération, M. Mansouri devra à nouveau comparaitre devant le tribunal de première instance de Rabat aux côtés de six autres activistes des droits humains et journalistes. Ces prévenus sont accusés notamment d’« atteinte à la sécurité de l’État » pour leurs activités de défense des droits humains.
« A l’heure où le procès de ces activistes va bientôt s’ouvrir, le harcèlement judiciaire à l’encontre des acteurs de la liberté d’expression et des défenseurs des droits humains est inquiétant », estime Chantal van Cutsem.
ASF rappelle l’importance de respecter les droits de la défense et les exigences du procès équitable et des standards internationaux.
Le Caire/Bruxelles, le 31 août 2015 – Dans un verdict prononcé samedi par la Cour Pénale du Caire, les journalistes d’Al Jazeera English, Mohamed Fahmy, le correspondant Peter Greste (in absentia) et le producteur Baher Mohamed, ainsi que leurs co-prévenus, ont été reconnus coupables de ne pas s’être enregistrés comme journalistes, et d’avoir travaillé depuis un hôtel du Caire sans autorisation. Ils ont été condamnés à 3 ans de prison, et Baher Mohamed à 3 ans et 6 mois. Ayant conjointement observé tout le procès, la Commission égyptienne pour les Droits et la Liberté (ECRF) et Avocats Sans Frontières (ASF) déplorent cette décision qui est une nouvelle défaite pour la liberté d’expression en Egypte. De plus, les deux associations s’inquiètent des conditions dans lesquelles cette affaire a été menée et utilisée pour intensifier le contrôle sur la presse en Égypte.
Cette décision est liée à l’arrestation, le 29 décembre 2013 de plusieurs journalistes et techniciens qui travaillaient pour une branche de la chaîne qatari Al-Jazeera Media Network, la chaîne Al-Jazeera en anglais (AJE). Les journalistes ont été poursuivis conjointement avec un groupe de personnes soupçonnées d’appartenir à une organisation terroriste du nom des Frères Musulmans.
Avec une équipe de quatre personnes, ASF et l’ECRF ont observé toute la réouverture du procès (12 audiences depuis février 2015). Le procès présentait des garanties significatives en matière de conduite des audiences ce qui démontre, jusqu’à un certain point, une volonté de garantir l’équité des procédures.
Les deux associations expriment toutefois leurs inquiétudes sur la manière dont l’affaire a été motivée par le Procureur et traitée par les magistrats, et ce depuis le début.
Il a été observé que certaines accusations sur base desquelles les poursuites judiciaires ont été lancées – en particulier celles relatives à l’appartenance à une organisation terroriste – n’ont été ni débattues durant les audiences, ni soutenues par des preuves factuelles. Ceci constitue une violation des règles fondamentales en matière de procédure pénale.
Une des conséquences directes des accusations pour terrorisme à l’encontre des journalistes a été que l’affaire a été portée devant une cour spécialisée. De plus, l’affaire a été entendue dans une salle d’audience située dans un complexe pénitentiaire, sous le contrôle exclusif du Ministère de l’Intérieur, et non dans un lieu judiciaire public, ce qui a limité l’accès du public. Enfin, la disposition de la salle d’audience constituait une violation des droits fondamentaux des prévenus: ces derniers avaient été placés dans une cage en verre, ce qui a eu un impact sur leur défense.
L’affaire a été perçue par la communauté internationale comme emblématique du traitement des journalistes soupçonnés de terrorisme par l’application de procédures judiciaires abusives. “Cette affaire est exemplative de la manière dont une question de liberté de la presse peut être considérée et traitée comme une affaire de terrorisme, avec des conséquences graves et irréversibles pour les journalistes concernés”, estime Chantal van Cutsem, Coordinatrice stratégique pour les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord chez ASF.
En connaissance de cause, l’ECRF et ASF appellent les autorités égyptiennes à respecter de manière inconditionnelle la Constitution égyptienne, qui garantit le respect de la liberté de la presse et des journalistes.
Elles invitent les autorités égyptiennes à réformer la législation relative aux médias de manière à ce qu’elle soit conforme aux standards internationaux en matière de presse et autres médias et, en particulier, décriminaliser la pratique du journalisme exercé sans appartenir au Syndicat des Journalistes.
Les autorités égyptiennes sont également invitées à réviser les conditions et les procédures concernant les correspondants internationaux travaillant en Égypte, de manière à s’assurer à ce que les journalistes puissent travailler en toute liberté, indépendance et sans intimidation.
Téléchargez ici le dossier de presse complet de l’ECRF et d’ASF (pdf)