Balumisa Manasse et autres

Reference

RPA n°049/2011

Country

Congo (the Democratic Republic of the)

Kasaï Oriental, Sud-Kivu

Database

International crimes and serious human rights violations

Date of ruling

October 25, 2016

Crimes/ violations

Concussion, Crimes Against Humanity, Destruction, Property Destruction, Recel, Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment, Viol et violences sexuelles

Parties impliquées

Défendeurs : 3 militaires des FARDC du 332e Bataillon de grade Lieutenant-Colonel, Major et Capitaine, déployés à KATASOMWA

Parties civiles : 116 parties civiles victimes directes

Civilement responsable : République Démocratique du Congo.

Résumé de la décision

En première instance, la Cour militaire de Bukavu condamne les 11 militaires accusés à des peines de 15 à 20 ans de servitude pénale, en reconnaissant des circonstances atténuantes à certains. Les prévenus et le Ministère public font appel devant la Haute Cour Militaire. La Haute Cour reconnait la culpabilité des prévenus pour les crimes mis à leur charge.

Responsabilité des accusés

Bien que les appels des prévenus soient infondés, la Haute Cour Militaire réformera la décision de la Cour militaire concernant le taux de la peine pour trois prévenus. La Cour militaire avait retenu des circonstances atténuantes pour ces trois prévenus (délinquants primaires, formation insuffisante, bas niveau d’instruction) et les avait condamnés à 15 ans de prison (au lieu de la perpétuité prononcée pour les autres). La HCM a également pris en compte leur inexpérience dans le commandement et a réduit leur peine à 7 ans de servitude pénale principale.

Responsabilité de la RDC 

La Haute Cour se rallie à la motivation du premier juge, qu’elle estime convaincante et conclut comme lui que la responsabilité de I‘Etat congolais est engagée à la suite des infractions commises par ses préposés que sont les prévenus. Par ces viols et ces pillages, l’Etat a failli à sa mission régalienne de sécurisation des personnes et de leurs biens sur toute l’étendue du territoire national.

Réparations et indemnités

La Haute Cour militaire confirme le premier jugement en ce qui concerne l’action civile.

Décision CM :

  • Viol : 5.000$ (faute d’éléments objectifs d’appréciation, la Cour donnera à chacune des victimes de viol des dommages et intérêts, qu’elle estimera en équité)
  • Pillages et destruction de bien : restitution des biens pillés ou de l’équivalent de leur valeur, en cas d’impossibilité d’évaluer le montant exact, indemnisation forfaitaire de 200$
Résumé des faits

L’affaire trouve son origine dans deux incidents distincts survenus en septembre 2009.

Le premier incident se déroule le 22 septembre 2009, lorsque des éléments armés, identifiés comme des membres des FDLR, volent du bétail à Kashiye. Les animaux sont récupérés par le commandant local et son équipe, puis remis au lieutenant-colonel Balumisa. Cependant, au lieu de les restituer aux propriétaires légitimes, Balumisa présente un rapport fallacieux affirmant que les détenteurs étaient des collaborateurs des FDLR, ce qui conduit à un partage illégal des animaux entre la brigade et le bataillon.

Le deuxième incident survient entre le 26 et le 29 septembre 2009 à Katasomwa, après le meurtre d’un militaire surnommé « Le Blanc » par un civil qu’il avait arrêté et contraint de transporter de l’alcool. Suite à cet événement, des militaires, sous l’ordre de Balumisa, se livrent à des exactions pendant quatre jours : viols massifs, pillages, destructions de biens et meurtres, dont celui d’un enfant de huit ans. Ces crimes sont commis dans plusieurs quartiers de Katasomwa, semant la terreur parmi la population.

Résumé de la procédure
Éléments jurisprudentiels clés

Substance du droit

Eléments constitutifs des crimes contre l’humanité :

  • Population civile : Les victimes, issues de villages comme Katasomwa, Bunyakiri, Nyamutu, et Kashege, ne faisaient pas partie des forces armées. Il s’agit donc d’une population civile, contrairement à ce que soutenaient les prévenus.
  • Attaque généralisée : « L’attaque était généralisée parce qu’elle a été menée par tous les militaires du bataillon, c’est-à-dire les quatre compagnies avec leurs commandants sur le terrain. Elle était dirigée contre toute la population civile sans distinction et donc elle a revêtu un caractère massif, collectif et d’une gravité considérable, vu le nombre de personnes victimes de viol et de pillage. » (p. 25 jugement CM)
  • Connaissance de l’attaque : Les prévenus savaient que leurs subordonnés pillaient la population civile dès le début. Ils ont toléré ces exactions pendant quatre jours, jusqu’à l’intervention du Commandant de Brigade.
  • Caractère politique de l’attaque : L’abstention du colonel Balumisa de mettre fin aux expéditions punitives de ses éléments, alors qu’il en avait la connaissance, était, elle aussi délibérément destinée à encourager cette conduite criminelle et que, dès lors que ces actes ont été, en quelque sorte, « encouragés » par la hiérarchie militaire. (p. 27 et 28 jugement HCM)

L’élément intellectuel de la responsabilité du supérieur hiérarchique : « La connaissance qu’avaient les accusés qu’un crime allait être commis, était commis ou avait été commis et le défaut de prendre des mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher ou arrêter la commission de ce crime ou pour en punir les auteurs constitue l’élément intellectuel requis pour la rétention de cette responsabilité. ». (p. 27 jugement HCM)

La théorie de l’organe – responsabilité objective de l’Etat : « La Cour observe aussi que la sécurité des individus est la raison même de la vie juridique des peuples et de l’organisation des sociétés et que l’Etat doit y veiller constamment. L’Etat comme le commettant doit répondre des dommages causés par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions, non pas parce qu’il a commis une faute, mais parce qu’il a l’obligation de garantir la sécurité des individus contre les actes dommageables de ceux qui exercent une activité en son nom et pour son compte. » (p. 32 jugement CM).

Les circonstances atténuantes : La Haute Cour se fonde sur de très larges circonstances atténuantes relatives à la qualité de délinquant primaire, formation insuffisante, le bas niveau d’instruction et I’inexpérience dans le commandement (p. 28 jugement HCM). Ces circonstances, subjectives et laissées à l’appréciation du juge, permettent une individualisation de la loi pénale. Elles peuvent s’avérer pertinentes pour évaluer si un supérieur hiérarchique possède les compétences nécessaires pour assumer ses responsabilités.

Réparation 

La qualité du demandeur en réparation : « la question n’est pas soumise à une règle précise. La doctrine renseigne que la qualité de la personne qui peut prétendre au droit à la réparation d’un dommage n’est pas déterminée de façon formelle. L’action civile en réparation du dommage causé par une infraction est accordée à tous ceux qui ont souffert du dommage directement causé par elle. » (p. 30 jugement CM)

Évaluation forfaitaire du dommage : A défaut d’éléments objectifs d’appréciation du dommage, la Cour évalue les dommages-intérêts estimés ex aequo et bono, selon l’équité (p. 31 jugement CM). L’évaluation forfaitaire du dommage est une approche critiquée (comme dans l’affaire Habarugira (2019)). Le juge doit prendre en considération la situation personnelle de chaque victime dans l’évaluation de l’indemnisation, comme par exemple dans les affaires Bokila (2006), Kabala (2012), Miriki (2017), Sheka (2020).

Évaluation du préjudice en cas de viol : les préjudices évalués par la HCM sont de nature limitée : l’humiliation, de la risée que les femmes ont subie de la part de leur entourage, mais aussi de la mise en danger de leur santé (fistule et stérilité) et de leurs foyers pour les femmes mariées. (p. 29 jugement HCM). Ces catégories sont limitées par rapport à d’autres affaires telles que Kokodikoko (2019) et Tsumbu Dirokpa (2019), qui mentionnent d’autres préjudices moraux, psychologiques, matériels et financiers afin d’établir le montant du dommage.