Ce 11ème ExPEERience Talk sera consacré à la Campagne pour la décriminalisation de la pauvreté, du statut et de l’activisme. Plusieurs de ses membres viendront y présenter son histoire, son fonctionnement, ses premières victoires et aborderont les défis rencontrés et les opportunités que présentent la mise en réseau d’une multiplicité d’acteur.rice.s pour s’attaquer à un enjeu mondial et systémique d’une telle ampleur.
Partout dans le monde, en effet, des lois et des pratiques policières et pénales tendent à contrôler, arrêter et enfermer disproportionnellement les populations en situation de vulnérabilité ou de marginalisation (personnes pauvres ou sans-abri, personnes LGBTQI+, travailleur‧euse‧s du sexe, personnes migrantes, etc.). Les délits mineurs – mendicité, désordre sur la voie publique, consommation de drogues, vagabondage…- sont utilisés contre ces personnes dans le seul but de criminaliser ce qu’elles représentent dans la société plutôt que les délits qu’elles ont commis. On assiste aussi, dans de nombreux pays, à un rétrécissement de l’espace civique et à une instrumentalisation du droit pénal pour réprimer l’activisme et étouffer la dissidence. Ces phénomènes sont profondément ancrés dans les législations, institutions et pratiques des États à travers le monde.
Au cours de cet ExPEERience Talk, des intervenant.e.s, travaillant pour plusieurs organisations membres de la campagne, viendront illustrer les conséquences très concrètes de ces lois et pratiques liberticides sur la société civile et les populations. Il.elle.s évoqueront également différentes actions entreprises dans le cadre de la campagne : recherches conjointes, actions contentieuses et actions de plaidoyer devant les institutions nationales et internationales.
À ce jour, la campagne est portée par une cinquantaine d’organisations de la société civile issues de nombreux pays. Son ambition est de créer les conditions d’un changement global des lois, politiques et pratiques pénales et sociales en adoptant une stratégie transnationale et multisectorielle.
Intervenant‧e‧s
Khayem Chemli – Head of advocacy chez ASF – région Euromed (modérateur)
Soheila Comninos – Senior program manager chez Open Society Foundations
Arnaud Dandoy – Research & Learning Manager chez ASF – région Euromed
Le prochain ExPEERience Talk (webinar) organisé par ASF et son réseau Justice ExPEERience abordera le thème de la campagne pour la décriminalisation de la pauvreté, le statut et l’activisme. Il aura lieu le jeudi 5 octobre 2023 à 12h (Tunis) – 13h (Bruxelles). Vous pouvez d’ores et déjà vous inscrire, la participation est gratuite.
La Campagne pour la décriminalisation de la pauvreté, du statut et de l’activisme, lancée en Afrique, en Asie du Sud, en Amérique du Nord et dans les Caraïbes, est portée par une coalition d’organisations de la société civile qui plaident pour la révision et l’abrogation des lois qui visent les personnes en raison de leur statut (social, politique ou économique) ou de leur activisme.
Dans de nombreux pays, la procédure pénale, les codes pénaux et les politiques de maintien de l’ordre continuent de refléter un héritage colonial. Des délits datant de l’époque coloniale, tels que le vagabondage, la mendicité ou le désordre, sont couramment utilisés contre les personnes déjà en situation de vulnérabilité (sans-abri, personnes porteuses d’handicaps, usager‧ère‧s de drogues, LGBTIQ+, travailleur‧euse‧s du sexe, personnes migrantes…), dans le seul but de criminaliser ce qu’elles représentent dans la société plutôt que les délits qu’elles ont commis.
Parallèlement, dans plusieurs de ces pays, on assiste à une instrumentalisation du droit pénal pour réprimer l’activisme et étouffer la dissidence. Les lois sur la sédition datant de l’époque coloniale et les lois plus récentes sur l’ordre public, par exemple, sont des outils omniprésents déployés par les États pour étouffer les protestations et limiter la liberté d’expression. Les États utilisent l’appareil sécuritaire, la justice et la détention à l’encontre de personnes et de groupes qui ne représentent pas un danger pour la sécurité des citoyen.ne.s, mais plutôt pour le maintien du statu quo et les privilèges d’une minorité.
Cet abus de pouvoir a un coût profond en termes de droits humains, se manifestant par la discrimination, le recours à la force létale, la torture, l’emprisonnement arbitraire et excessif, des condamnations disproportionnées et des conditions de détention inhumaines. Cette situation, à laquelle s’ajoutent des formes d’oppression croisées, basées sur le sexe, l’âge, le handicap, la race, l’origine ethnique, la nationalité et/ou la classe sociale de personnes déjà en situation de marginalisation. Les populations les plus touchées par cette criminalisation du statut, de la pauvreté et de l’activisme sont aussi celles qui sont le plus affectées par des phénomènes tels que la surpopulation carcérale, la détention provisoire, la perte de revenus familiaux, la perte d’un emploi, etc.
En 2021, la campagne, qui regroupe des avocat.e.s, des juristes, des membres du pouvoir judiciaire, des militant.e.s et des expert.e.s de plus de 50 organisations, a remporté des victoires importantes, notamment suite à des procès historiques contre diverses lois devant des tribunaux nationaux en Afrique. Nous pouvons citer l’adoption des principes sur la décriminalisation des délits mineurs par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et l’établissement par le Parlement panafricain en 2019 de lignes directrices pour une loi normative/modèle sur la police.
La Campagne représente donc une véritable opportunité pour un changement global des lois, politiques et pratiques pénales et sociales. Pour la première fois, la société civile se concentre sur les dysfonctionnements communs de la chaîne pénale et établit, entre autres, des liens entre la législation coloniale en matière de textes pénaux et la criminalisation de la pauvreté, dans un contexte mondial de rétrécissement de l’espace civique.
La campagne, à ce jour, est organisée à travers plusieurs comités : un comité mondial, dont ASF fait partie, et des sous-groupes thématiques et géographiques afin de garantir une meilleure représentativité des acteur.rice.s et un plus grand impact.
Avocats Sans Frontières est membre respectivement des comités de coordination des sous-groupes Francophonie et Afrique du Nord. Cette structuration voulue par la campagne vise à renforcer davantage les objectifs de recherche, les priorités et les cibles en matière de plaidoyer et de sensibilisation.
Á l’occasion du 18eme Sommet de la Francophonie, qui s’est tenu à Djerba le 19 et le 20 Novembre 2022, ASF et ses partenaires au sein de la coalition Tunisienne pour la dépénalisation des délits mineurs et de la pauvreté, ont organisé un événement-parallèle à Djerba durant lequel des revendications ont été formulées à l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), contenues dans un document public s’intitulant la « Déclaration de Djerba ». Les signataires estiment que l’OIF pourrait et devrait jouer un rôle central dans la promotion des valeurs des droits humains, et promouvoir la décriminalisation des infractions mineures qui, outre leur caractère discriminant, aggravent les phénomènes de surpopulation carcérale, qui sont eux-mêmes responsables de l’aggravation des conditions de détention inhumaines et dégradantes.
Le sous-groupe francophone, dont ASF est membre, a entamé une série de rencontres internes de concertation en mars 2023. Celles-ci doivent aboutir à la rédaction d’une charte qui rassemblera la vision et les objectifs communs de ses membres. Elle servira de base à la mise en place d’une stratégie de plaidoyer vis-à-vis des acteur.rice.s d’influence, à l’instar de l’Union européenne et ses États membres, l’Union Africaine et ses États membres, les différentes institutions européennes responsables des politiques de coopération, ainsi que les institutions et différents mécanismes des Nations Unies.
L’équipe d’Avocats Sans Frontières est ravie de pouvoir vous présenter son dernier rapport annuel.
Que de chemin parcouru depuis la création d’ASF en 1992 par des avocat.e.s belges. Durant ces 30 années, ce sont des centaines de personnes qui ont contribué à faire évoluer l’organisation pour qu’elle devienne ce qu’elle est aujourd’hui : une organisation militante active dans une dizaine de pays qui œuvre pour la promotion de l’accès à la justice et d’un État de droit fondé sur les droits humains en étroite collaboration avec des acteur.rice.s locaux.les.
Ces trente années d’action, les ancrages locaux que nous avons développés et les liens que nous avons tissés avec des défenseur.e.s des droits humains des quatre coins du monde nous donnent beaucoup de force et de confiance pour envisager l’avenir et poursuivre le déploiement d’une action impactante au service des populations en situation de vulnérabilité (femmes, enfants, communauté LGBTQI+, minorités ethniques, personnes en situation de détention, personnes en situation de migration, etc.).
Mais les défis sont nombreux. Partout à travers le monde, les organisations de la société civile et les défenseur.e.s des droits humains font face à des évolutions et des tendances inquiétantes : montée des autoritarismes, rétrécissement de l’espace civique, défiance croissante des populations envers les institutions, tensions sociales exacerbées, etc.
Les défenseur.e.s des droits humains et de l’accès à la justice doivent travailler dans des contextes qui leur sont de plus en plus hostiles. Les notions mêmes de droits humains et d’État de droit sont remises en question. Les activistes, les avocat.e.s et les journalistes qui œuvrent pour la défense des droits fondamentaux des populations en situation de vulnérabilité sont de plus en plus systématiquement visés par des politiques répressives illibérales.
Chaque page de ce rapport témoigne de la vigueur de la flamme qui anime celles et ceux qui s’engagent pour maintenir les droits humains au cœur même de nos sociétés, au risque et au péril de leur propre liberté. Ce rapport est un hommage à chacune et chacun d’eux.elles.
Cet article a été rédigé dans le cadre de la réalisation du rapport annuel 2022 d’ASF, bientôt disponible sur le site d’ASF.
Justice ExPEERience est un réseau international regroupant des acteur.rice.s actif.ve.s dans la promotion des droits humains œuvrant sur les 5 continents. Il s’agit avant tout d’un réseau collaboratif, dans lequel les membres sont invité.e.s à mutualiser leurs connaissances, à partager leurs expériences et expertises, mais aussi amené.e.s à travailler ensemble, en coalitions ou communautés de pratique, sur des projets concrets de monitoring des violations de droits humains, des contentieux stratégiques ou encore des actions de plaidoyer.
Plus d’un an après son lancement, le réseau Justice ExPEERience compte plus de 400 membres. Parmi eux.elles, des activistes, des juristes, des chercheur.e.s, des membres de la société civile, etc. qui travaillent dans les domaines de la justice et de la promotion des droits humains. L’ambition d’ASF est de créer un environnement qui permette à tou.te.s ces acteur.rice.s de collaborer et de renforcer mutuellement leur expertise et leurs capacités.
C’est pourquoi ASF a commencé à développer en 2021 la plateforme numérique Justice ExPEERience. Cet outil numérique permet d’animer et de structurer le réseau. C’est là que les échanges se font, que l’apprentissage entre pair.e.s de différentes régions devient possible, que les groupes de travail se forment et que se déploient les collaborations.
Afin de garantir la sécurité de ses membres et la confidentialité des informations partagées sur Justice ExPEERience, les données sont hébergées directement sur les serveurs d’ASF et ne transitent pas par les serveurs des grandes entreprises du numérique. Pour promouvoir la création de réseaux multipays et répondre aux besoins d’un maximum d’acteur.rice.s, Justice ExPEERience est une plateforme multilingue : son interface est actuellement disponible en allemand, en anglais, en arabe, en français et en portugais ; et les contenus et actualités postés peuvent être traduits dans d’autres langues grâce à un outil de traduction instantanée. En 2022, la plateforme a également été développée sous forme d’application mobile, téléchargeable et utilisable sur smartphones, afin de la rendre plus accessible dans tous les contextes.
Sur Justice ExPEERience, l’ensemble des membres peuvent partager des informations, de l’actualité et interagir comme sur un réseau social, sur différentes thématiques relatives aux droits humains ; mais il.elle.s peuvent également se partager de la documentation et collaborer directement en ligne, de manière sécurisée, sur des documents. Différents lieux de collaboration sont ouverts sur la plateforme, sur des thématiques ou des projets précis : la plateforme héberge 250 espaces collaboratifs, dont 20 espaces publics dédiés à l’échange et au partage d’informations thématiques entre tou.te.s les membres du réseau. Les membres de Justice ExPEERience sont donc invité.e.s à collaborer non seulement sur des espaces de partage publics, ouverts à tout le réseau, mais également sur des espaces privés confidentiels strictement réservés aux membres qui travaillent sur un projet commun.
Communauté(s) Justice ExPEERience
Sur ces différents espaces, les membres du réseau peuvent travailler ensemble, en coalitions ou communautés de pratique, en maintenant le niveau souhaité d’ouverture ou de confidentialité de leur travail. En 2022, Justice ExPEERience a développé plusieurs communautés de pratiques, constituées d’acteur.rice.s de la société civile implémentant des projets dans différents pays. Il.elle.s y déploient et coordonnent des actions conjointes de monitoring des violations de droits humains (dans différents pays), de contentieux stratégiques (nationaux ou transnationaux) ou encore de plaidoyer (à l’échelle locale, régionale ou internationale). Dans les espaces confidentiels qui leur sont dédiés, les communautés de pratique disposent notamment d’une bibliothèque partagée et collaborative, que les membres enrichissent, afin de favoriser la diffusion horizontale de l’expertise et l’apprentissage entre pair.e.s. Ce partage d’expertise et d’informations a également lieu dans les espaces thématiques ouverts à tou.te.s les membres, faisant de Justice ExPEERience en elle-même une communauté de pratique internationale et multisectorielle.
Pour dynamiser le réseau et nourrir les échanges entre ses membres, des ExPEERience Talks sont organisés chaque mois afin de favoriser la diffusion de l’expertise et des connaissances. Il s’agit de webinaires à l’occasion desquels des membres du réseau présentent une recherche, un projet, un outil, ou une analyse, en lien avec la promotion des droits humains et de la justice. En 2022, 5 ExPEERience Talks ont eu lieu, sur des sujets aussi variés que les trajectoires des migrant.e.s tunisien.ne.s rappatrié.e.s d’Italie, la gouvernance des ressources naturelles en Ouganda et en RDC, les pratiques pénales en RCA, ou encore la portée et l’impact des décisions de la Cour Africaine des droits de l’Homme et des peuples.
Chaque mois, les informations relatives aux nouvelles recherches, activités et événements du réseau sont partagées dans une newsletter, The ExPEERience Letter.
Justice ExPEERience a l’ambition de se développer encore davantage en 2023 : attirer de nouveaux membres, enrichir la création et le partage d’expertise à travers sa plateforme mais aussi ses Talks et sa newsletter, développer de nouvelles collaborations – notamment transnationales –, s’ouvrir à des partenariats avec des acteur.rice.s externes et faire évoluer la plateforme et ses outils pour répondre au mieux aux besoins de ses membres. Justice ExPEERience fera notamment l’objet d’une tech-demo lors du sommet international pour le numérique et les droits humains, le RightsCon, en juin 2023.
L’Alliance Sécurité et Libertés (ASL), dont ASF est membre, publie son cinquième rapport sur l’État de droit et l’état des libertés en Tunisie. Amorcé au lendemain du coup de force du Président Saïed le 25 juillet 2021, le travail de monitoring et d’analyse quantitative et qualitative mené par ASL revient dans cette cinquième édition sur les événements, décisions et réactions qui ont suivi le vote controversé de la nouvelle Constitution tunisienne le 25 juillet 2022.
Il y a plus d’un an et demi, le 25 juillet 2021, le Président Saïed activait en effet l’article 80 de la Constitution et instaurait un état d’exception. Cette date a marqué le début de son entreprise de démantèlement des institutions issues de la transition post-2011 : parlement gelé puis dissous, instances constitutionnelles dissoutes, pleins pouvoirs par décret, ratification d’une Constitution unilatéralement rédigée par Saïed et votée dans des conditions délétères…
Le tableau que dresse ce bulletin laisse peu de doutes quant aux desseins autocratiques du Président Saïed et sa volonté de clore définitivement le chapitre de la transition démocratique en Tunisie. Il impose de manière unilatérale un projet politique aux contours flous mais assurément vertical, autoritaire et populiste.
Plusieurs tendances et évolutions se dégagent du travail de monitoring et d’analyse de l’Alliance Sécurité et Libertés.
Au niveau institutionnel, la période a été marquée par le vote et la ratification de la nouvelle Constitution consacrant l’hypertrophie de l’exécutif au détriment des pouvoirs législatif et judicaire, considérablement affaiblis. Les scrutins ayant mené au vote de la Constitution et à l’élection de la première chambre du Parlement se sont caractérisés par leur incompatibilité avec les normes électorales et des taux de participation historiquement bas. Le pouvoir judiciaire continue quant à lui d’être attaqué et démantelé, le tout sur fond de crise socio-économique majeure.
En parallèle, les droits et libertés continuent de s’éroder, dans un contexte d’instrumentalisation de la justice et de l’appareil sécuritaire, et de répression des opposant.e.s, de la presse et des syndicats. Les mesures administratives arbitraires de restrictions des libertés et l’adoption de décrets-lois liberticides sont devenues des pratiques courantes. Ces derniers mois ont aussi été marqués par une campagne de violences racistes – soutenues par la rhétorique haineuse de l’État – envers les populations subsahariennes, à l’heure où toujours plus de migrant.e.s (Tunisien.ne.s ou non) tentent de rejoindre l’Europe par la mer au péril de leur vie.
Enfin, l’étau se resserre toujours davantage sur une opposition qui peine à faire front uni face au régime. La scène politique demeure instable et mouvante. Plusieurs initiatives d’opposition (civiles et politiques) coexistent mais ne parviennent pas à constituer une force d’opposition en capacité de mettre à mal les desseins autoritaires du Président, tandis que certain.e.s de ses allié.e.s prennent leurs distances.
Sur la scène internationale, la Tunisie s’isole. Les condamnations s’enchaînent et s’intensifient même depuis les vagues d’arrestations de personnalités publiques de ces derniers mois et le déploiement d’une rhétorique xénophobe à l’encontre des migrant.e.s subsaharien.ne.s. C’est dans ce contexte que le Président engage des efforts diplomatiques, notamment auprès des États arabes, pour obtenir des soutiens à l’international.
L’Alliance pour la Sécurité et les Libertés
L’Alliance pour la Sécurité et les Libertés (ASL) est une alliance d’organisations de la société civile tunisienne et internationale basée en Tunisie qui, dans la continuité de la Révolution de la Liberté et de la Dignité, réfléchit, mobilise et agit pour que la Tunisie consolide la construction d’un Etat démocratique dont les politiques publiques sont au service des citoyens garantissant la paix, le respect de leurs droits humains et de l’égalité entre toutes et tous.
Rapports
Quatre bulletins périodiques ont déjà été publiés 50, 100, 200 et 365 jours après le 25 juillet 2021. Retrouvez tous les rapports de l’Alliance Sécurité et Libertés.
En Tunisie, les acteur.rice.s de la chaîne pénale tendent à perpétuer les réflexes répressifs de l’ancien régime de Ben Ali. La surpopulation carcérale y reste très élevée : environ 131% de taux d’occupation avec 23.607 détenu.e.s à la fin 2020 (prévenu.e.s et condamné.e.s confondu.e.s) pour environ 18.000 places disponibles, avec pour corollaire des conditions de détention en deçà des standards internationaux.
Les mesures prises pour contrer la pandémie avait permis d’infléchir un temps les chiffres. Entre mi-mars et fin avril, 8.551 détenu.e.s ont été libéré.e.s, soit une chute de 37% de la population carcérale. Cette décrue fut notamment le fruit de la mobilisation de plusieurs organisations de la société civile, dont Avocats Sans Frontières et ses partenaires du projet « L’Alternative ». En multipliant les appels à la décroissance de la population carcérale, la société civile a contribué à cette baisse notable du taux d’occupation des prisons.
Mais cette déflation historique ne fut que temporaire. Résultat de mesures conjoncturelles (grâces présidentielles, moindre placement en détention préventive et libérations conditionnelles accrues), cette baisse a rapidement été effacée par les dynamiques structurelles répressives dont souffre toujours la politique pénale tunisienne.
Le conservatisme des juges, les difficultés d’accès à une défense dès le moment de la garde à vue, le recours massif à la détention préventive (62% des personnes incarcérées sont des prévenu.e.s), l’emprisonnement pour des délits mineurs (comme la consommation de cannabis ou encore les chèques impayés), le faible recours aux peines alternatives à la prison sont autant de facteurs qui expliquent la persistance de ce taux élevé d’incarcération.
Changer les mentalités et s’éloigner de ces réflexes répressifs, notamment au niveau de la magistrature, est un travail à mener sur le long terme. C’est pourquoi une attention toute particulière est accordée au développement d’un plaidoyer auprès des acteur.rice.s de la chaîne pénale et des décideur.euse.s politiques. Celui-ci est d’autant plus important que des réformes du Code pénal et du Code de procédure pénal, dont l’aboutissement serait nécessaire à tout changement structurel significatif, sont en cours.
Pour contribuer à la réforme de la politique pénale et carcérale en Tunisie, ASF poursuit son travail auprès de ses partenaires malgré le ralentissement de la transition démocratique et une période d’instabilité politique en Tunisie. Notamment à travers son projet « L’Alternative », l’organisation fournit un appui technique et financier à des organisations de la société civile qui travaillent aux différents niveaux de la chaîne pénale (avant, durant et après l’incarcération).
Après le déni opposé à la crise sanitaire, c’est un sentiment de sidération qui a prévalu de par le monde face à la nature sans précédent des mesures prises, et leur ampleur. Plus de la moitié de la population mondiale s’est en effet retrouvée confinée, avec des conséquences sur la vie économique, sociale, physique et mentale différentes selon les situations individuelles et des variantes d’ordre plus structurel.
Comme tout un chacun, ASF a dû adapter son mode de fonctionnement, et ce dans des contextes très différents et parfois très volatiles. Très vite, un dénominateur commun est apparu dans tous ces contextes, qu’il s’agisse d’États soumis à des régimes autoritaires, en situation post-conflit, en transition démocratique, ou encore des démocraties dites consolidées : les droits humains ont été quasi-systématiquement absents des discours politiques et des réflexions menant à la prise de décision des autorités. Et pourtant, chaque mesure adoptée dans le cadre de la crise sanitaire a engendré la limitation de droits et de libertés, parfois en ricochet. L’interdiction de circulation a ainsi non seulement porté atteinte à la liberté de mouvement, mais également au droit à l’éducation, au droit au travail, voire dans certains cas au droit à la santé ou au droit à l’alimentation.
Or, un droit humain ne peut être limité qu’en vertu d’une loi et de manière strictement proportionnée par rapport à l’objectif poursuivi. Ceci va de pair avec le principe de nécessité en vertu duquel, face à une palette d’options, l’État doit nécessairement opter pour la moins attentatoire aux droits et libertés. Ces principes, alors qu’ils auraient dû guider la réflexion, n’ont reçu que peu d’écho dans la prise de décision politique.
Avec la volonté de défendre et promouvoir l’approche centrée sur les droits humains, ASF et ses partenaires ont développé un cadre de monitoring de l’impact des mesures Covid-19 sur les droits humains et les principes de l’État de droit, dès mars 2020 en Tunisie, en Ouganda, en Indonésie, en République démocratique du Congo et en Belgique. Ce monitoring a été complété par de nombreuses actions sur les questions d’accès à la justice, en particulier s’agissant du thème de la surpopulation carcérale. L’intégration systématique d’une « approche Covid-19 » a permis de mettre en évidence de multiples entorses, tous systèmes politiques confondus, aux principes essentiels de protection et promotion des droits humains. Les données récoltées dans ces quelques pays permettent, en tant qu’illustrations de tendances beaucoup plus générales, de dresser un inquiétant tableau à l’échelle globale.
L’absence de cadre de gouvernance international ou régional sur ces questions, a tout d’abord entraîné des réactions en chaîne de nature ad hoc, autour d’un renforcement quasi-systématique des pouvoirs exécutifs, même lorsque des solutions moins attentatoires aux libertés s’offraient aux décideurs politiques. Ceci a engendré une importante personnification de la réponse sanitaire, dans la mesure où ces renforcements sans précédent des pouvoirs exécutifs, comme en Tunisie ou en Ouganda, ont fait dépendre – et potentiellement soumis à l’arbitraire – le respect des droits humains d’un nombre limité de personnes.
Cette forte tendance à la criminalisation, qui a pu aller jusqu’à la détention des personnes en infraction, s’est ainsi inscrite en porte-à-faux avec la logique-même de distanciation sociale prônée par les autorités dans des contextes de forte surpopulation carcérale. La suspension des activités judiciaires a également conduit à la détention prolongée et potentiellement illégale de personnes en situation de détention préventive ou provisoire. Les appels à la déflation carcérale déjà préexistant à cette crise sanitaire se sont multipliés face à la vulnérabilité accrue des détenu.e.s, et les atteintes disproportionnées à leurs droits causées par la suspension du droit de visite. Si certains États, comme l’Ouganda ou la Tunisie, ont finalement procédé à la libération – parfois provisoire seulement – des détenu.e.s en fin de peine ou condamné.e.s pour délits mineurs, l’effet d’annonce s’est vite estompé alors que les prisons ont vite retrouvé un taux d’occupation similaire, sinon supérieur, à celui qui prévalait avant le début de la crise
La situation des détenu.e.s n’est qu’une illustration de l’impact différencié et potentiellement discriminatoire des mesures sanitaires subies par les catégories de personnes déjà en situation de vulnérabilité. La recrudescence des cas de violences basées sur le genre, notamment en contexte domestique, a été systématique ; les fragilités préexistantes ont encore davantage exposé les personnes, non seulement à la crise sanitaire, mais également à ses conséquences socioéconomiques ravageuses. Une étude menée en Belgique l’a très clairement mis en évidence, alors que les mesures, a priori neutres dans leur formulation, ont produit des effets particulièrement néfastes sur les personnes migrantes, les personnes racisées et les détenu.e.s, s’apparentant ainsi à des mesures de discrimination indirecte.
Ces diverses tendances observées ne constituent finalement que l’exacerbation de fragilités structurelles et individuelles qui préexistaient à la crise. Alors que les perspectives de sortie de crise sont elles-mêmes incertaines, il est plus important que jamais de poursuivre et ancrer ce travail de monitoring et, surtout, d’intégrer l’approche centrée sur les droits humains dans les mécanismes de gouvernance et d’évaluation mis en place tout au long de cette année. Les sociétés civiles ont été bien trop reléguées à leur rôle de chienne de garde, sans qu’un espace ne leur soit mis à disposition pour qu’elles puissent participer constructivement – sur la base notamment des données de terrain telles que celles récoltées par ASF et ses partenaires – à ces cadres de dialogue.
>> Plus d’informations sur l’initiative de monitoring + Liste des articles <<Rédaction :Michael Musiime, Elisa Novic, Nathalie Vandevelde*Fort de son expérience récente dans la gestion du virus Ebola, l’Ouganda a rapidement mis en place un plan d’ampleur pour contenir la propagation du COVID-19. Des mesures préventives ont été prises dès le 18 mars, avant même que le premier cas de contamination ne soit enregistré dans le pays.[1] Alors que le premier cas a été recensé le 22 mars, le personnel sanitaire était déjà en état d’alerte et des mesures barrières, telles que le lavage régulier des mains, étaient déjà promues par les autorités.
Cet article couvre la période du 18 mars à début juin 2020. Durant cette période, les cas de Covid-19 dans le pays ont connu une augmentation régulière avec près de 700 cas recensés.
Une réponse présidentielle et orale à la crise pandémique
L’Ouganda a répondu à la crise pandémique à travers la mise en place de facto d’un état d’urgence. Le président a choisi de ne pas faire appel à l’article 110 de la Constitution, qui lui confère la possibilité de déclarer l’état d’urgence avec l’accord du Parlement.[2] Il a préféré adopter une série de déclarations aux bases légales incertaines. La première fut énoncée le 18 mars 2020 et visait à imposer un confinement et un couvre-feu stricts à travers 34 mesures (ex. la fermeture des écoles, des bars et des églises ; une quarantaine de 14 jours à l’arrivée sur le territoire, l’interdiction d’entrée en Ouganda). Le ministère de la santé les a par la suite promulguées dans une série de décrets et ordonnances[3], tel que prévu dans la Section 29 de la loi de santé publique CAP. 281, qui confère au ministre de la santé des pouvoirs étendus pour gérer et prévenir la propagation de pandémies.
Cependant, la plupart de ces mesures ont été mises en œuvre uniquement sur base des directives présidentielles, et avant même que celles-ci ne soient promulguées dans les décrets et ordonnances du ministre de la santé. À titre d’exemple, la directive présidentielle du 18 mars n’a été publiée au journal officiel comme décret ministériel que le 24 mars. Les déclarations du Président n’ont cependant pas de valeur juridique contraignante en elles-mêmes[4]. Si le site internet de la présidence propose des transcriptions des directives du Président Musevini, les Ougandais.e.s doivent se reposer sur les médias pour s’informer sur les restrictions de leurs droits et libertés dans le contexte de la crise. Ces rapports sont le plus souvent disponibles en anglais, sans traduction officielle en langue vernaculaire.
Cette façon de gouverner est contraire aux standards internationaux de protection des droits humains. En effet, la Charte Africaine des droits de l’Homme et des Peuples dispose que toute limitation aux droits humains – par exemple à la liberté de de circulation ou à la liberté de rassemblement pacifique (articles 11 et 12) – doit être prévue par la loi et limitée à l’objectif de préservation de « la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publique ».[5]La neutralisation des contre-pouvoirs
Les enjeux ne sont pas purement théoriques. La décision de ne pas déclarer l’état d’urgence a privé le Parlement de son rôle constitutionnel de contrôle et de contrepoids face aux pouvoirs exceptionnels que s’est accordé ces derniers mois le pouvoir exécutif pour limiter les libertés individuelles de ses citoyens.[6] Les actions du Parlement n’ont pas non plus été exemptes de critiques pour autant, avec sa décision en début de crise d’accorder 20 millions de shillings (4.800 euros) à chacun de ses membres, sur leur compte personnel, pour qu’il.elle.s luttent contre la pandémie dans leur circonscription. La Cour suprême a finalement ordonné aux députés de reverser ces fonds à la commission parlementaire, au groupe de travail national Covid-19, ou encore aux groupes de travail Covid-19 régionaux.[7]
Un tel jugement reste une exception, les audiences ayant été suspendues à partir du 20 mars, excepté pour les requêtes urgentes et les demandes de libération conditionnelle.[8] Les services judiciaires sont donc réduits au minimum, essentiellement pour répondre à l’introduction d’actions en référé concernant l’administration de la justice. Un avocat a ainsi contesté devant la Cour suprême la décision du ministère de la santé de ne pas inclure les services d’aide légale dans une liste de « services essentiels », considérant qu’il s’agissait d’une violation du droit à un procès équitable. Alors que le procès était en cours, le Président a finalement annoncé de nouvelles lignes directrices permettant à un maximum de 30 avocats à la fois de fournir des services urgents d’aide légale. La Cour suprême a finalement réclamé que le ministère de la santé poursuive la mise en œuvre de la directive par l’intermédiaire des procédures opérationnelles standards.[9]
La concentration des pouvoirs dans les mains de l’exécutif sans contrôle ni parlementaire ni juridictionnel effectif, associée à un manque de clarté sur le statut ainsi que sur le contenu des mesures adoptées pour contenir la pandémie, ont constitué un terreau fertile à la commission d’abus dans le cadre de l’application des mesures. L’on relève en particulier l’utilisation excessive de la force par les forces de sécurité, ce compris les Unités de défense locales (Local Defence Unit), pour faire appliquer les mesures de confinement, ainsi que le harcèlement de journalistes et de défenseur.se.s des droits humains. Tout ceci s’inscrit dans une tendance toujours plus grande à la limitation de l’espace civique en Ouganda. Ces sujets seront développés plus en profondeur dans de futurs articles sur l’administration de la justice et l’impact des restrictions de circulation sur les droits et les libertés des ougandais.
* Les auteurs souhaiteraient remercier Irene Anying et Romain Ravet pour leur contribution sur la première version de ce document, ainsi que LASPNET Ouganda, et plus particulièrement Badru Walu, pour son assistance dans la collecte de données.
[1] Ces mesures préventives incluent l’interdiction de rassemblements, des consignes restrictives concernant les mariages et les enterrements, des limitations sur la circulation vers et depuis l’Ouganda.
[2] Constitution de la République d’Ouganda, art. 110 (1)(3).
[3] Public Health (Notification of Covid-19) Order (17 mars 2020); Public Health (Prevention of Covid-19) Order (17 mars 2020); Public Health (Prohibition of Entry into Uganda) order (24 mars 2020); Public Health (Control of Covid-19) Rules (24 mars 2020); Public Health (Control of Covid-19) (No. 2) (Amendment No. 2) Rules, 2020. S.I No. 64 of 2020 (8 mars 2020).
[4] D’après l’article 110 (1) de la Constitution “Le Président peut, par proclamation, déclarer qu’un état d’urgence existe en Ouganda, ou dans une partie du territoire – ce qui rend nécessairela prise de mesures pour garantir la sécurité de la population.”
[5] Voir aussi le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, i.a. art. 4 12(3), 21 ; Les Principes de Syracuse sur la limitation et les dérogation, para. 15, 25.
[6] L’article 110 (6), de la Constitution ougandaise prévoit que : « Durant la période pendant laquelle un état d’urgence est déclaré, le Président devra soumettre au parlement à une périodicité définie par le parlement, des rapports réguliers sur les actions entreprises par ou au nom du Président dans le cadre de cette urgence. » En cas de proclamation de l’état d’urgence, les articles 47 et 48 viennent alors encadrer le domaine de la détention, en confiant un pouvoir spécifique de contrôle au parlement.
[7]Gerald Karuhanga & Jonathan Odur v. Attorney General., 29 avril 2020 (version rédigée du jugement non disponible).[8] Circulaire du president de la Haute Cour : Administrative and Contingency Measures to Prevent and Mitigate the Spread of Corona Virus (Covid-19) by the Judiciary (19 mars 2020). Les mesures ont depuis été prolongées tout en étant atténuées, voir les directives du président de la Haute Cour “Guidelines for online hearings in the Judiciary of Uganda” (Directives pour les audiences en ligne pour la justice ougandaise) (29 avril 2020) https://bit.ly/2BA0M3r.
[9]Turyamusiima Geoffrey v Attorney General & Jane Ruth Aceng, Misc. Application No. 64 of 2020. La Société ougandaise du droit (équivalent du Barreau) a refusé de se limiter à une liste de 30 de ses membres. Ceci sera discuté plus en détails dans un prochain article sur l’administration de la justice.
Engagée en République centrafricaine depuis 2015, Avocats Sans Frontières y mène divers projets et études visant à renforcer l’état de droit et promouvoir l’accès à la justice. Grâce à son travail de terrain, ASF a pu constater que face aux difficultés d’accès à l’avocat et à une justice étatique de qualité, les citoyens centrafricains ont largement délaissé la justice étatique au profit d’acteurs de proximité, tels que les chefs de quartiers, les leaders religieux, les organisations de la société civile, etc. Pour ASF, toute stratégie d’aide au développement ne tenant pas compte de cette pluralité d’acteurs et de pratiques de résolution de conflit ne correspond pas aux besoins et moyens d’action et est dès lors d’avance vouée à l’échec.
Une justice étatique défaillante
Les institutions judiciaires centrafricaines, déjà fragiles avant la crise de 2013, se sont effondrées lors de la crise. Dans leur parcours de justice, les Centrafricains doivent faire face à de nombreux obstacles. D’une part, le faible déploiement des tribunaux étatiques au-delà de la capitale compromet gravement l’accès matériel au prétoire de justice. D’autre part, les forces de l’ordre s’érigent bien souvent en instances de justice et traitent, en interne etsans compétences légales, les cas qui leur sont rapportés. Par ailleurs, de nombreux cas de corruption, d’extorsions, d’intimidations et de détentions arbitraires sont rapportés.
Des avocats peu accessibles
Le coût élevé des services, le manque criant d’effectif et la nature des cas traités (principalement en droit économique), rendent l’accès à un avocat peu réaliste pour une vaste majorité des Centrafricains. Les avocats jouissent malgré tout de la confiance de la population. Nombreux se disent prêts à leur confier leurs cas, à condition que la tarification soit proportionnée à leurs moyens.
Une justice alternative prépondérante
Face à la faible présence d’institutions judiciaires étatiques et à leurs dérives, de nombreux Centrafricains saisissent des forums de proximité pour résoudre leurs conflits (chefs de villages, chefs de quartiers, leaders religieux, etc.). Si elle a l’avantage d’être plus accessible, cette forme de justice – dite alternative – n’est pas exempte de toute critique. D’une part, elle crée des conflits de compétence et des confusions dans le chef de citoyens. D’autre part, des cas de discrimination, de corruption et d’intimidation y sont aussi dénoncés.
La nécessité d’envisager le système de justice centrafricain de manière holistique
Sur le terrain, ASF constate que beaucoup de stratégies mises en place pour améliorer l’accès à la justice en RCA se limitent au renforcement du système de justice étatique. Pour ASF, de telles stratégies ne tiennent pas compte de la pluralité d’acteurs et de pratiques et ne correspondent pas aux réalités de terrain, de sorte qu’elles sont vouées à l’échec.
Partant, ASF exhorte l’ensemble des acteurs engagés pour l’accès à la justice en RCA à tenir compte de ces réalités et à adapter leurs stratégies d’intervention en conséquence.
Pour en lire plus sur ces études, cliquez ici.
N’Djamena, le 27 juin 2019 – Au Tchad, ASF soutient les organisations de défense des droits humains (ODDH) dans le but de renforcer l’impact et la portée de leurs actions. En mars dernier, nous sommes partis à la rencontre des justiciables, des autorités locales, des acteurs judiciaires et des membres des ODDH, pour recueillir leurs opinions au sujet du travail de ces dernières. Au cours des entretiens menés à Bongor, Moundou et Sarh, l’ensemble des personnes interrogées ont témoigné de leur grande satisfaction à l’égard des activités des ODDH.
Les justiciables saluent les campagnes de sensibilisation et les accompagnements individuels réalisés par les ODDH, qui leur permettent non seulement de prendre conscience de leurs droits, jusque-là méconnus, mais aussi de recevoir une aide précieuse pour rédiger leurs plaintes et requêtes. Ils appellent de leurs vœux l’intensification et l’expansion des activités des ODDH dans tout le pays, comme en témoigne ce bénéficiaire :
« Par des orientations, des conseils et sensibilisations, les défenseurs des droits de l’homme aident véritablement tous ceux qui sollicitent leurs services. On va à tâtons et ce sont les ODDH qui nous aident. »
S’ils admettent que certaines réticences envers les ODDH ont pu exister par le passé, les chefs de quartiers, les préfets et autres autorités provinciales reconnaissent aujourd’hui qu’il existe une convergence entre leur mission et celle des ODDH, à savoir assurer la sécurité des personnes et de leurs biens. Là où certains qualifient les ODDH de « boussoles qui nous guident dans notre mission » d’autres soulignent leur « travail remarquable. » Ils aspirent à une intensification des activités des ODDH et au renforcement et l’amélioration de leur collaboration.
Les juges et les greffiers voient leur travail simplifié par le travail des ODDH. Ils constatent que les justiciables s’étant rendus devant les ODDH avant d’ester en justice sont mieux préparés aux audiences. Ils comprennent mieux leurs droits, maîtrisent mieux les procédures, sont munis de plaintes et requêtes de meilleure qualité et ont plus de facilités à répondre aux questions posées. Une greffière interrogée met tout de même en garde contre les pratiques de certains membres des ODDH, qui parfois poussent les justiciables à entamer des démarches qu’ils ne souhaitent pas entreprendre ou se montrent partiaux. Les procureurs attestent de la complémentarité de leur travail et de celui des ODDH :
« A mon avis, la présence des ODDH sur le terrain est un atout pour le magistrat. Celui-ci est confiné dans son bureau, c’est le défenseur des droits de l’homme qui lui fournit plus d’informations sur les bavures. Le magistrat en tire les conséquences avant de mettre en mouvement l’action publique. C’est grâce aux défenseurs des droits de l’homme que nous apprenons des pratiques horribles qui se passent dans les zones reculées du Tchad. »
Certains procureurs invitent tout de même les ODDH à être prudentes et à vérifier leurs informations, sans quoi les dénonciations sont parfois erronées.
Les membres des ODDH interrogés rapportent quant à eux que si les relations avec les autorités dans certaines régions demeurent conflictuelles, une amélioration et une volonté de dialogue sont néanmoins observables. Ils regrettent qu’une forme de mécompréhension de leur rôle demeure et génère des relations conflictuelles avec certaines autorités et des confusions pour les citoyens. Ils entendent intensifier leurs activités pour y remédier et pour augmenter le nombre de personnes aidées, mais ne manquent pas de rappeler que de telles démarches seront limitées par leurs difficultés budgétaires.
Ces entretiens ont été réalisés par le Collectif des Associations de Défense des Droits de l’Homme au Tchad, avec le soutien technique d’FAS et le soutien financier de l’Union européenne et de l’Ambassade de France au Tchad.
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