Non à l’introduction de « l’atteinte méchante de l’autorité de l’État » dans le code pénal belge

Crédit photo : Justine Dofal
Crédit photo : Justine Dofal

ASF se joint à plus de 500 signataires issu‧e‧s du monde associatif, universitaire, judiciaire et de la société civile pour alerter sur la dangerosité de l’introduction dans le nouveau code pénal belge de l’infraction d’atteinte méchante à l’autorité de l’État.

Ce 22 février, le parlement fédéral belge a validé d’adoption d’un nouveau code pénal. Une réforme nécessaire mais dont certaines dispositions inquiètent les acteur‧rice‧s de la société civile, particulièrement celle qui concerne l’introduction d’une infraction d’atteinte méchante à l’autorité de l’État. Ce qui se cache derrière cet article, c’est la possibilité pour l’État et les magistrat‧e‧s de criminaliser le recours à un outil fondamental au bon fonctionnement de nos démocraties : la désobéissance civile.

Ce texte s’inscrit dans une tendance grandissante, en Europe et ailleurs, à la criminalisation des mouvements sociaux et aux atteintes au droit de manifester et à la liberté d’expression.

Cet article du code pénal sur ‘l’atteinte méchante à l’autorité de l’État’ pourrait être utilisé pour s’attaquer à des mouvements sociaux et sa large définition laisse une importante place à l’arbitraire et à l’appréciation des magistrat‧e‧s.

Une telle situation porterait atteinte aux principes de sécurité juridique, de légalité, d’égalité devant la loi et à la liberté d’expression, essentiels dans toute société démocratique. 

La désobéissance civile : un outil démocratique fondamental

La désobéissance civile consiste dans le fait de transgresser la loi, de façon publique, consciente et non-violente, afin de dénoncer et d’appeler à la réforme d’une loi ou d’une politique publique qui nuirait aux droits fondamentaux des personnes.

Elle ne remet pas en cause l’État de droit mais vise des législations ou des politiques particulières. Son but est de remettre certains sujets au cœur du débat public, nourrissant de cette manière la vie démocratique d’un État.

Elle est non seulement compatible avec la démocratie, elle est essentielle à son bon fonctionnement, particulièrement quand les voies légales et politiques ont été épuisées.

Combinée à d’autres modes d’actions légaux, elle permet de gagner des combats en faveur des droits et de la justice.

Défense de la défense : L’avocat‧e face au péril répressif

Cet article est basé sur une intervention de Bruno Langhendries, directeur de l’appui stratégique chez ASF, à l’occasion du congrès 2023 de la Conférence Internationale des Barreaux.

Poursuites judiciaires, harcèlement, intimidation, privation de liberté, et parfois, atteinte directe à l’intégrité physique. Partout à travers le monde, des avocat.e.s travaillant en faveur droits humains, de la société civile ou des populations en situation de vulnérabilité subissent menaces et agressions simplement parce qu’il.elle.s exercent leur profession.

C’est le triste constat que nous faisons avec nos partenaires partout où nous intervenons. Nos équipes font l’état d’attaques répétées et en augmentation contre les avocat.e.s, et plus globalement contre les défenseur.e.s des droits humains, dans un contexte global d’érosion de l’État de droit, de rétrécissement de l’espace civique et d’hypertrophie du pouvoir exécutif au détriment des appareils législatifs et judiciaires.

Les périls de l’avocat.e face au délitement de l’État de droit

Dans les contextes dans lesquels ASF travaille, l’avocat.e fait face à de multiples menaces :

  • D’une part, du harcèlement, des menaces et des intimidations, et dans de plus rares cas, des atteintes directes à l’intégrité physique émanant de représentant.e.s de l’autorité ou d’acteur.rice.s qui se disent issu.e.s de la société civile mais qui sont souvent très proches du pouvoir.
  • D’autre part, les avocat.e.s font l’objet de poursuites judiciaires et sont victimes de privation de liverté :
    • Dans le cadre de l’exercice de leur profession. Des législations liberticides sont mobilisées ou l’immunité dont est supposé bénéficier l’avocat.e est levée. La diffamation, la calomnie ou l’apologie du terrorisme sont alors les motifs privilégiés pour justifier les poursuites.
    • Dans le cadre de leur vie privée. Les avocat.e.s sont poursuivi.e.s pour des faits étrangers à leur profession.

Ces tactiques répressives sont mobilisées par les pouvoirs en place lorsqu’ils juge leurs intérêts menacés.

Les avocat.e.s se retrouvent la cible de ces attaques le plus souvent lorsqu’il.elle.s :

  • Défendent des membres de la société civile, d’opposant.e.s politiques et de personnes en situation de vulnérabilité, qui sont eux.elles-mêmes le plus souvent déjà victimes de la répression de l’État.
  • Dénoncent des pratiques répressives et arbitraires des agents de l’État.
  • Dénoncent des réformes dangereuses pour l’État de droit.

Le but des autorités est d’empêcher la défense de jouer son rôle de soutien de la société civile face au pouvoir exécutif, de décourager, d’isoler ceux et celles qui osent remettre en cause leurs pratiques.

ASF a fait triste le constat de multiples exemples qui illustrent très concrètement ces tendances.

En Tunisie, Maître Ayachi Hammani a été poursuivi pour avoir critiqué la Ministre de la Justice après la révocation arbitraire de plus d’une cinquantaine de juges.

Toujours en Tunisie, Maître Hayet Jazzar et Maître Ayoub Ghedamsi ont été poursuivis après avoir plaidé en faveur d’une victime d’actes de torture commis par des agents de police.

En République centrafricaine, en 2022, Maître Manguareka a été harcelé après avoir défendu en justice les intérêts d’un opposant du régime. Dans le pays, ce sont tou.te.s les avocat.e.s, et leur barreau, qui sont qualifiés d’ennemi de la paix par des groupuscules proches du pouvoir.

En Ouganda, Nicholas Opiyo, avocat spécialisée dans les droits humains, a été arrêté avec d’autres avocat.e.s et maintenu en détention plusieurs semaines. Dans un premier arrêté sans charge, il a ensuite été poursuivi pour blanchiment d’argent.

Au Burundi, ce sont 5 membres d’associations partenaires qui ont été arrêté.e.s et emprisonné.e.s pendant quatre mois, essentiellement parce qu’il.elle.s travaillaient avec Avocats Sans Frontières.

Il existe malheureusement tant d’autres exemples que nous pourrions citer.

Il est important de préciser que tous ces cas sont différents et s’inscrivent dans des contextes particuliers.

Cependant, dans tous ces pays, l’intensification de la répression à l’encontre des avocat‧e‧s, et plus largement, des défenseur‧e‧s des droits humains, va de pair avec le rétrécissement de l’espace civique que nous observons partout où nous travaillons.

Ce qu’il nous semble important de noter est que :

  • D’une part, ces persécutions envers les avocat.e.s vont de pair avec des répressions accrues envers les autres porteur.euse.s de voix, envers les défenseur.e.s des droits humains, qu’il.elle.s agissent dans un cadre professionnel ou en tant que citoyen.ne.
  • Ce rétrécissement de l’espace civique est le corollaire de la montée du populisme et de la remise en cause des principes de l’État de droit qui l’accompagne.

Ce rétrécissement de l’espace civique consacre le plus souvent l’hypertrophie du pouvoir exécutif au détriment des pouvoirs législatifs et judiciaires. Ce glissement vers des régimes plus autoritaires est souvent accéléré à travers le recours à l’état d’urgence, à l’état de siège ou à l’état d’exception qui sont souvent utilisées par les régimes en place pour imposer sur le long terme des mesures liberticides supposées temporaires. Celui-ci peut aussi survenir de façon plus brutale lors de coups d’État comme ce fut le cas récemment en Tunisie ou au Sahel.

Dans les pays dans lesquels ASF intervient, l’organisation met en œuvre des programmes en faveur de la défense des droits humains en partenariat avec la société civile et les Barreaux. 

ASF, en collaboration avec ses partenaires locaux.les, mobilise notamment les approches suivantes pour soutenir les avocat.e.s et les défenseur.e.s des droits humains :

  • Le développement de collectifs d’avocats et de défenseurs des droits humains pour qu’ils puissent faire valoir leurs droits collectivement et réagir rapidement en cas de menace.
  • La défense des avocat.e.s en cas de poursuites ou de privation de liberté. En cas de poursuites ou de privation de liberté, ASF appuie la défense des avocats, notamment en mobilisant les acteurs internationaux et en les poussant à agir.
  • Un monitoring des violations des droits humains et des menaces contre l’espace civique et les défenseur.e.s des droits humains, en ce compris les avocat.e.s. Á partir de ce moniroting notamment, ASF développe des stratégies de plaidoyer en faveur des libertés publiques et de la défense des défenseurs des droits humains et des avocat.e.s.

Afrique de l’Est – Protéger l’espace civique : une approche basée sur le contentieux stratégique

Cet article a été publié dans le rapport annuel 2022 d’ASF.

En 2022, le bureau régional Afrique de l’Est d’ASF a lancé un projet couvrant trois pays de la région : le Burundi, la Tanzanie et l’Ouganda. L’objectif de ce projet est de contribuer à la promotion de l’État de droit en encourageant les organisations de la société civile à recourir à des courts, des organes, des mécanismes et des instruments régionaux de traités des droits humains, notamment en renforçant leurs capacités et leurs connaissances en la matière.

En pratique, le projet se concentre sur la promotion de l’utilisation des contentieux stratégiques comme outils d’influence, afin d’apporter des réformes positives dans les domaines de l’espace civique et des libertés civiles. Dans ses pays d’intervention, ASF a identifié des contentieux existants et en développement menés par des organisations de la société civile de la région. Le projet apporte un soutien financier et technique à ces organisations, les accompagne afin d’affiner leurs réflexions stratégiques et de renforcer leurs actions en couplant la mise en place de ces contentieux à des actions de plaidoyers notamment. Le projet, au vu de sa dimension régionale, a pour ambition d’appuyer les contentieux qui sont portés devant des mécanismes régionaux tels que la Cour de justice de l’Afrique de l’Est ou la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP).

Avec le soutien de l’Union panafricaine des avocats, ASF travaille sur le dépôt d’un contentieux devant la CADHP en matière de droit d’association, qui couvre une douzaine d’États africains. ASF a fait le constat, sur la base d’observations et d’analyses juridiques que les pratiques et lois régissant les ONG dans de nombreux États africains étaient en violation de la liberté d’association. Ces soumissions visent à faire respecter les libertés civiles fondamentales et à imposer aux États une obligation positive de réformer les lois en vigueur et de mettre fin aux pratiques portant atteinte au droit d’association.

ASF apporte également un soutien financier et technique à une pétition constitutionnelle déposée par des organisations de la société civile, dont Chapter Four, devant la Cour constitutionnelle de l’Ouganda, pour contester la constitutionnalité de la loi sur l’utilisation abusive de l’informatique votée en octobre 2022. Bien que cette loi controversée ait été saluée par le gouvernement comme une protection nécessaire de la vie privée à l’ère numérique, elle est perçue par de nombreuses OSC locales comme une atteinte aux libertés d’expression et de la presse.

ExPEERience Talk #11 – Décriminaliser la pauvreté, le statut et l’activisme : une urgence mondiale, une campagne internationale

  • Quand ? 5 octobre – 12h (GMT+1, Tunis) ; 13h (GMT+2, Bruxelles)
  • Langue : Français
  • Évènement gratuit en ligne – Inscription obligatoire

Ce 11ème ExPEERience Talk sera consacré à la Campagne pour la décriminalisation de la pauvreté, du statut et de l’activisme. Plusieurs de ses membres viendront y présenter son histoire, son fonctionnement, ses premières victoires et aborderont les défis rencontrés et les opportunités que présentent la mise en réseau d’une multiplicité d’acteur.rice.s pour s’attaquer à un enjeu mondial et systémique d’une telle ampleur.

Partout dans le monde, en effet, des lois et des pratiques policières et pénales tendent à contrôler, arrêter et enfermer disproportionnellement les populations en situation de vulnérabilité ou de marginalisation (personnes pauvres ou sans-abri, personnes LGBTQI+, travailleur‧euse‧s du sexe, personnes migrantes, etc.). Les délits mineurs – mendicité, désordre sur la voie publique, consommation de drogues, vagabondage…- sont utilisés contre ces personnes dans le seul but de criminaliser ce qu’elles représentent dans la société plutôt que les délits qu’elles ont commis. On assiste aussi, dans de nombreux pays, à un rétrécissement de l’espace civique et à une instrumentalisation du droit pénal pour réprimer l’activisme et étouffer la dissidence. Ces phénomènes sont profondément ancrés dans les législations, institutions et pratiques des États à travers le monde.

Au cours de cet ExPEERience Talk, des intervenant.e.s, travaillant pour plusieurs organisations membres de la campagne, viendront illustrer les conséquences très concrètes de ces lois et pratiques liberticides sur la société civile et les populations. Il.elle.s évoqueront également différentes actions entreprises dans le cadre de la campagne : recherches conjointes, actions contentieuses et actions de plaidoyer devant les institutions nationales et internationales.

À ce jour, la campagne est portée par une cinquantaine d’organisations de la société civile issues de nombreux pays. Son ambition est de créer les conditions d’un changement global des lois, politiques et pratiques pénales et sociales en adoptant une stratégie transnationale et multisectorielle.

Intervenant‧e‧s

  • Khayem Chemli – Head of advocacy chez ASF – région Euromed (modérateur)
  • Soheila Comninos – Senior program manager chez Open Society Foundations
  • Arnaud Dandoy – Research & Learning Manager chez ASF – région Euromed
  • Asmaa Fakhoury – Country director ASF Maroc
  • Maria José Aldanas – Policy Officer chez FEANTSA

La campagne pour la décriminalisation de la pauvreté, du statut et de l’activisme

Cet article est extrait du rapport annuel 2022 d’ASF.

Le prochain ExPEERience Talk (webinar) organisé par ASF et son réseau Justice ExPEERience abordera le thème de la campagne pour la décriminalisation de la pauvreté, le statut et l’activisme. Il aura lieu le jeudi 5 octobre 2023 à 12h (Tunis) – 13h (Bruxelles). Vous pouvez d’ores et déjà vous inscrire, la participation est gratuite.

La Campagne pour la décriminalisation de la pauvreté, du statut et de l’activisme, lancée en Afrique, en Asie du Sud, en Amérique du Nord et dans les Caraïbes, est portée par une coalition d’organisations de la société civile qui plaident pour la révision et l’abrogation des lois qui visent les personnes en raison de leur statut (social, politique ou économique) ou de leur activisme.

Dans de nombreux pays, la procédure pénale, les codes pénaux et les politiques de maintien de l’ordre continuent de refléter un héritage colonial. Des délits datant de l’époque coloniale, tels que le vagabondage, la mendicité ou le désordre, sont couramment utilisés contre les personnes déjà en situation de vulnérabilité (sans-abri, personnes porteuses d’handicaps, usager‧ère‧s de drogues, LGBTIQ+, travailleur‧euse‧s du sexe, personnes migrantes…), dans le seul but de criminaliser ce qu’elles représentent dans la société plutôt que les délits qu’elles ont commis.

Parallèlement, dans plusieurs de ces pays, on assiste à une instrumentalisation du droit pénal pour réprimer l’activisme et étouffer la dissidence. Les lois sur la sédition datant de l’époque coloniale et les lois plus récentes sur l’ordre public, par exemple, sont des outils omniprésents déployés par les États pour étouffer les protestations et limiter la liberté d’expression. Les États utilisent l’appareil sécuritaire, la justice et la détention à l’encontre de personnes et de groupes qui ne représentent pas un danger pour la sécurité des citoyen.ne.s, mais plutôt pour le maintien du statu quo et les privilèges d’une minorité.

Cet abus de pouvoir a un coût profond en termes de droits humains, se manifestant par la discrimination, le recours à la force létale, la torture, l’emprisonnement arbitraire et excessif, des condamnations disproportionnées et des conditions de détention inhumaines. Cette situation, à laquelle s’ajoutent des formes d’oppression croisées, basées sur le sexe, l’âge, le handicap, la race, l’origine ethnique, la nationalité et/ou la classe sociale de personnes déjà en situation de marginalisation. Les populations les plus touchées par cette criminalisation du statut, de la pauvreté et de l’activisme sont aussi celles qui sont le plus affectées par des phénomènes tels que la surpopulation carcérale, la détention provisoire, la perte de revenus familiaux, la perte d’un emploi, etc.

En 2021, la campagne, qui regroupe des avocat.e.s, des juristes, des membres du pouvoir judiciaire, des militant.e.s et des expert.e.s de plus de 50 organisations,  a remporté des victoires importantes, notamment suite à des procès historiques contre diverses lois devant des tribunaux nationaux en Afrique. Nous pouvons citer l’adoption des principes sur la décriminalisation des délits mineurs par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et l’établissement par le Parlement panafricain en 2019 de lignes directrices pour une loi normative/modèle sur la police.

La Campagne représente donc une véritable opportunité pour un changement global des lois, politiques et pratiques pénales et sociales. Pour la première fois, la société civile se concentre sur les dysfonctionnements communs de la chaîne pénale et établit, entre autres, des liens entre la législation coloniale en matière de textes pénaux et la criminalisation de la pauvreté, dans un contexte mondial de rétrécissement de l’espace civique.

La campagne, à ce jour, est organisée à travers plusieurs comités : un comité mondial, dont ASF fait partie, et des sous-groupes thématiques et géographiques afin de garantir une meilleure représentativité des acteur.rice.s et un plus grand impact.

Avocats Sans Frontières est membre respectivement des comités de coordination des sous-groupes Francophonie et Afrique du Nord. Cette structuration voulue par la campagne vise à renforcer davantage les objectifs de recherche, les priorités et les cibles en matière de plaidoyer et de sensibilisation.

Á l’occasion du 18eme Sommet de la Francophonie, qui s’est tenu à Djerba le 19 et le 20 Novembre 2022, ASF et ses partenaires au sein de la coalition Tunisienne pour la dépénalisation des délits mineurs et de la pauvreté, ont organisé un événement-parallèle à Djerba durant lequel des revendications ont été formulées à l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), contenues dans un document public s’intitulant la « Déclaration de Djerba ». Les signataires estiment que l’OIF pourrait et devrait jouer un rôle central dans la promotion des valeurs des droits humains, et promouvoir la décriminalisation des infractions mineures qui, outre leur caractère discriminant, aggravent les phénomènes de surpopulation carcérale, qui sont eux-mêmes responsables de l’aggravation des conditions de détention inhumaines et dégradantes.

Le sous-groupe francophone, dont ASF est membre, a entamé une série de rencontres internes de concertation en mars 2023. Celles-ci doivent aboutir à la rédaction d’une charte qui rassemblera la vision et les objectifs communs de ses membres. Elle servira de base à la mise en place d’une stratégie de plaidoyer vis-à-vis des acteur.rice.s d’influence, à l’instar de l’Union européenne et ses États membres, l’Union Africaine et ses États membres, les différentes institutions européennes responsables des politiques de coopération, ainsi que les institutions et différents mécanismes des Nations Unies.

Le rapport annuel d’ASF est disponible !

L’équipe d’Avocats Sans Frontières est ravie de pouvoir vous présenter son dernier rapport annuel.

Que de chemin parcouru depuis la création d’ASF en 1992 par des avocat.e.s belges. Durant ces 30 années, ce sont des centaines de personnes qui ont contribué à faire évoluer l’organisation pour qu’elle devienne ce qu’elle est aujourd’hui : une organisation militante active dans une dizaine de pays qui œuvre pour la promotion de l’accès à la justice et d’un État de droit fondé sur les droits humains en étroite collaboration avec des acteur.rice.s locaux.les.

Ces trente années d’action, les ancrages locaux que nous avons développés et les liens que nous avons tissés avec des défenseur.e.s des droits humains des quatre coins du monde nous donnent beaucoup de force et de confiance pour envisager l’avenir et poursuivre le déploiement d’une action impactante au service des populations en situation de vulnérabilité (femmes, enfants, communauté LGBTQI+, minorités ethniques, personnes en situation de détention, personnes en situation de migration, etc.).

Mais les défis sont nombreux. Partout à travers le monde, les organisations de la société civile et les défenseur.e.s des droits humains font face à des évolutions et des tendances inquiétantes : montée des autoritarismes, rétrécissement de l’espace civique, défiance croissante des populations envers les institutions, tensions sociales exacerbées, etc.

Les défenseur.e.s des droits humains et de l’accès à la justice doivent travailler dans des contextes qui leur sont de plus en plus hostiles. Les notions mêmes de droits humains et d’État de droit sont remises en question. Les activistes, les avocat.e.s et les journalistes qui œuvrent pour la défense des droits fondamentaux des populations en situation de vulnérabilité sont de plus en plus systématiquement visés par des politiques répressives illibérales.

Chaque page de ce rapport témoigne de la vigueur de la flamme qui anime celles et ceux qui s’engagent pour maintenir les droits humains au cœur même de nos sociétés, au risque et au péril de leur propre liberté. Ce rapport est un hommage à chacune et chacun d’eux.elles.

Justice ExPEERience : un réseau et une plateforme pour la promotion des droits humains

Cet article a été rédigé dans le cadre de la réalisation du rapport annuel 2022 d’ASF, bientôt disponible sur le site d’ASF.

Justice ExPEERience est un réseau international regroupant des acteur.rice.s actif.ve.s dans la promotion des droits humains œuvrant sur les 5 continents. Il s’agit avant tout d’un réseau collaboratif, dans lequel les membres sont invité.e.s à mutualiser leurs connaissances, à partager leurs expériences et expertises, mais aussi amené.e.s à travailler ensemble, en coalitions ou communautés de pratique, sur des projets concrets de monitoring des violations de droits humains, des contentieux stratégiques ou encore des actions de plaidoyer.

Plus d’un an après son lancement, le réseau Justice ExPEERience compte plus de 400 membres. Parmi eux.elles, des activistes, des juristes, des chercheur.e.s, des membres de la société civile, etc. qui travaillent dans les domaines de la justice et de la promotion des droits humains. L’ambition d’ASF est de créer un environnement qui permette à tou.te.s ces acteur.rice.s de collaborer et de renforcer mutuellement leur expertise et leurs capacités.

C’est pourquoi ASF a commencé à développer en 2021 la plateforme numérique Justice ExPEERience. Cet outil numérique permet d’animer et de structurer le réseau. C’est là que les échanges se font, que l’apprentissage entre pair.e.s de différentes régions devient possible, que les groupes de travail se forment et que se déploient les collaborations.

Afin de garantir la sécurité de ses membres et la confidentialité des informations partagées sur Justice ExPEERience, les données sont hébergées directement sur les serveurs d’ASF et ne transitent pas par les serveurs des grandes entreprises du numérique. Pour promouvoir la création de réseaux multipays et répondre aux besoins d’un maximum d’acteur.rice.s, Justice ExPEERience est  une plateforme multilingue : son interface est actuellement disponible en allemand, en anglais, en arabe, en français et en portugais ; et les contenus et actualités postés peuvent être traduits dans d’autres langues grâce à un outil de traduction instantanée. En 2022, la plateforme a également été développée sous forme d’application mobile, téléchargeable et utilisable sur smartphones, afin de la rendre plus accessible dans tous les contextes.

Sur Justice ExPEERience, l’ensemble des membres peuvent partager des informations, de l’actualité et interagir comme sur un réseau social, sur différentes thématiques relatives aux droits humains ; mais il.elle.s peuvent également se partager de la documentation et collaborer directement en ligne, de manière sécurisée, sur des documents. Différents lieux de collaboration sont ouverts sur la plateforme, sur des thématiques ou des projets précis : la plateforme héberge 250 espaces collaboratifs, dont 20 espaces publics dédiés à l’échange et au partage d’informations thématiques entre tou.te.s les membres du réseau. Les membres de Justice ExPEERience sont donc invité.e.s à collaborer non seulement sur des espaces de partage publics, ouverts à tout le réseau, mais également sur des espaces privés confidentiels strictement réservés aux membres qui travaillent sur un projet commun.

Communauté(s) Justice ExPEERience

Sur ces différents espaces, les membres du réseau peuvent travailler ensemble, en coalitions ou communautés de pratique, en maintenant le niveau souhaité d’ouverture ou de confidentialité de leur travail. En 2022, Justice ExPEERience a développé plusieurs communautés de pratiques, constituées d’acteur.rice.s de la société civile implémentant des projets dans différents pays. Il.elle.s y déploient et coordonnent des actions conjointes de monitoring des violations de droits humains (dans différents pays), de contentieux stratégiques (nationaux ou transnationaux) ou encore de plaidoyer (à l’échelle locale, régionale ou internationale). Dans les espaces confidentiels qui leur sont dédiés, les communautés de pratique disposent notamment d’une bibliothèque partagée et collaborative, que les membres enrichissent, afin de favoriser la diffusion horizontale de l’expertise et l’apprentissage entre pair.e.s. Ce partage d’expertise et d’informations a également lieu dans les espaces thématiques ouverts à tou.te.s les membres, faisant de Justice ExPEERience en elle-même une communauté de pratique internationale et multisectorielle.

Pour dynamiser le réseau et nourrir les échanges entre ses membres, des ExPEERience Talks sont organisés chaque mois afin de favoriser la diffusion de l’expertise et des connaissances. Il s’agit de webinaires à l’occasion desquels des membres du réseau présentent une recherche, un projet, un outil, ou une analyse, en lien avec la promotion des droits humains et de la justice. En 2022, 5 ExPEERience Talks ont eu lieu, sur des sujets aussi variés que les trajectoires des migrant.e.s tunisien.ne.s rappatrié.e.s d’Italie, la gouvernance des ressources naturelles en Ouganda et en RDC, les pratiques pénales en RCA, ou encore la portée et l’impact des décisions de la Cour Africaine des droits de l’Homme et des peuples.

Chaque mois, les informations relatives aux nouvelles recherches, activités et événements du réseau sont partagées dans une newsletter, The ExPEERience Letter.

Justice ExPEERience a l’ambition de se développer encore davantage en 2023 : attirer de nouveaux membres, enrichir la création et le partage d’expertise à travers sa plateforme mais aussi ses Talks et sa newsletter, développer de nouvelles collaborations – notamment transnationales –, s’ouvrir à des partenariats avec des acteur.rice.s externes et faire évoluer la plateforme et ses outils pour répondre au mieux aux besoins de ses membres. Justice ExPEERience fera notamment l’objet d’une tech-demo lors du sommet international pour le numérique et les droits humains, le RightsCon, en juin 2023.

Tunisie – 600 jours après l’article 80 : De l’état d’exception à l’instauration de l’autocratie

L’Alliance Sécurité et Libertés (ASL), dont ASF est membre, publie son cinquième rapport sur l’État de droit et l’état des libertés en Tunisie. Amorcé au lendemain du coup de force du Président Saïed le 25 juillet 2021, le travail de monitoring et d’analyse quantitative et qualitative mené par ASL revient dans cette cinquième édition sur les événements, décisions et réactions qui ont suivi le vote controversé de la nouvelle Constitution tunisienne le 25 juillet 2022.

Il y a plus d’un an et demi, le 25 juillet 2021, le Président Saïed activait en effet l’article 80 de la Constitution et instaurait un état d’exception. Cette date a marqué le début de son entreprise de démantèlement des institutions issues de la transition post-2011 : parlement gelé puis dissous, instances constitutionnelles dissoutes, pleins pouvoirs par décret, ratification d’une Constitution unilatéralement rédigée par Saïed et votée dans des conditions délétères…  

Le tableau que dresse ce bulletin laisse peu de doutes quant aux desseins autocratiques du Président Saïed et sa volonté de clore définitivement le chapitre de la transition démocratique en Tunisie. Il impose de manière unilatérale un projet politique aux contours flous mais assurément vertical, autoritaire et populiste.

Plusieurs tendances et évolutions se dégagent du travail de monitoring et d’analyse de l’Alliance Sécurité et Libertés.

Au niveau institutionnel, la période a été marquée par le vote et la ratification de la nouvelle Constitution consacrant l’hypertrophie de l’exécutif au détriment des pouvoirs législatif et judicaire, considérablement affaiblis. Les scrutins ayant mené au vote de la Constitution et à l’élection de la première chambre du Parlement se sont caractérisés par leur incompatibilité avec les normes électorales et des taux de participation historiquement bas. Le pouvoir judiciaire continue quant à lui d’être attaqué et démantelé, le tout sur fond de crise socio-économique majeure.

En parallèle, les droits et libertés continuent de s’éroder, dans un contexte d’instrumentalisation de la justice et de l’appareil sécuritaire, et de répression des opposant.e.s, de la presse et des syndicats. Les mesures administratives arbitraires de restrictions des libertés et l’adoption de décrets-lois liberticides sont devenues des pratiques courantes. Ces derniers mois ont aussi été marqués par une campagne de violences racistes – soutenues par la rhétorique haineuse de l’État – envers les populations subsahariennes, à l’heure où toujours plus de migrant.e.s (Tunisien.ne.s ou non) tentent de rejoindre l’Europe par la mer au péril de leur vie.

Enfin, l’étau se resserre toujours davantage sur une opposition qui peine à faire front uni face au régime. La scène politique demeure instable et mouvante. Plusieurs initiatives d’opposition (civiles et politiques) coexistent mais ne parviennent pas à constituer une force d’opposition en capacité de mettre à mal les desseins autoritaires du Président, tandis que certain.e.s de ses allié.e.s prennent leurs distances.

Sur la scène internationale, la Tunisie s’isole. Les condamnations s’enchaînent et s’intensifient même depuis les vagues d’arrestations de personnalités publiques de ces derniers mois et le déploiement d’une rhétorique xénophobe à l’encontre des migrant.e.s subsaharien.ne.s. C’est dans ce contexte que le Président engage des efforts diplomatiques, notamment auprès des États arabes, pour obtenir des soutiens à l’international.

L’Alliance pour la Sécurité et les Libertés

L’Alliance pour la Sécurité et les Libertés (ASL) est une alliance d’organisations de la société civile tunisienne et internationale basée en Tunisie qui, dans la continuité de la Révolution de la Liberté et de la Dignité, réfléchit, mobilise et agit pour que la Tunisie consolide la construction d’un Etat démocratique dont les politiques publiques sont au service des citoyens garantissant la paix, le respect de leurs droits humains et de l’égalité entre toutes et tous.

Rapports

Quatre bulletins périodiques ont déjà été publiés 50100200 et 365 jours après le 25 juillet 2021.
Retrouvez tous les rapports de l’Alliance Sécurité et Libertés.

365 jours après l’article 80

200 jours après l’article 80

100 jours après l’article 80

50 jours après l’article 80

La prison en Tunisie : inerties du tout répressif

En Tunisie, les acteur.rice.s de la chaîne pénale tendent à perpétuer les réflexes répressifs de l’ancien régime de Ben Ali. La surpopulation carcérale y reste très élevée : environ 131% de taux d’occupation avec 23.607 détenu.e.s à la fin 2020 (prévenu.e.s et condamné.e.s confondu.e.s) pour environ 18.000 places disponibles, avec pour corollaire des conditions de détention en deçà des standards internationaux.

Les mesures prises pour contrer la pandémie avait permis d’infléchir un temps les chiffres. Entre mi-mars et fin avril, 8.551 détenu.e.s ont été libéré.e.s, soit une chute de 37% de la population carcérale. Cette décrue fut notamment le fruit de la mobilisation de plusieurs organisations de la société civile, dont Avocats Sans Frontières et ses partenaires du projet « L’Alternative ». En multipliant les appels à la décroissance de la population carcérale, la société civile a contribué à cette baisse notable du taux d’occupation des prisons.

Mais cette déflation historique ne fut que temporaire. Résultat de mesures conjoncturelles (grâces présidentielles, moindre placement en détention préventive et libérations conditionnelles accrues), cette baisse a rapidement été effacée par les dynamiques structurelles répressives dont souffre toujours la politique pénale tunisienne. 

Le conservatisme des juges, les difficultés d’accès à une défense dès le moment de la garde à vue, le recours massif à la détention préventive (62% des personnes incarcérées sont des prévenu.e.s), l’emprisonnement pour des délits mineurs (comme la consommation de cannabis ou encore les chèques impayés), le faible recours aux peines alternatives à la prison sont autant de facteurs qui expliquent la persistance de ce taux élevé d’incarcération.

Changer les mentalités et s’éloigner de ces réflexes répressifs, notamment au niveau de la magistrature, est un travail à mener sur le long terme. C’est pourquoi une attention toute particulière est accordée au développement d’un plaidoyer auprès des acteur.rice.s de la chaîne pénale et des décideur.euse.s politiques. Celui-ci est d’autant plus important que des réformes du Code pénal et du Code de procédure pénal, dont l’aboutissement serait nécessaire à tout changement structurel significatif, sont en cours.

Pour contribuer à la réforme de la politique pénale et carcérale en Tunisie, ASF poursuit son travail auprès de ses partenaires malgré le ralentissement de la transition démocratique et une période d’instabilité politique en Tunisie. Notamment à travers son projet « L’Alternative », l’organisation fournit un appui technique et financier à des organisations de la société civile qui travaillent aux différents niveaux de la chaîne pénale (avant, durant et après l’incarcération).

Les droits humains, grands absents de la gestion de crise Covid-19

Après le déni opposé à la crise sanitaire, c’est un sentiment de sidération qui a prévalu de par le monde face à la nature sans précédent des mesures prises, et leur ampleur. Plus de la moitié de la population mondiale s’est en effet retrouvée confinée, avec des conséquences sur la vie économique, sociale, physique et mentale différentes selon les situations individuelles et des variantes d’ordre plus structurel.

Comme tout un chacun, ASF a dû adapter son mode de fonctionnement, et ce dans des contextes très différents et parfois très volatiles. Très vite, un dénominateur commun est apparu dans tous ces contextes, qu’il s’agisse d’États soumis à des régimes autoritaires, en situation post-conflit, en transition démocratique, ou encore des démocraties dites consolidées : les droits humains ont été quasi-systématiquement absents des discours politiques et des réflexions menant à la prise de décision des autorités. Et pourtant, chaque mesure adoptée dans le cadre de la crise sanitaire a engendré la limitation de droits et de libertés, parfois en ricochet. L’interdiction de circulation a ainsi non seulement porté atteinte à la liberté de mouvement, mais également au droit à l’éducation, au droit au travail, voire dans certains cas au droit à la santé ou au droit à l’alimentation.

Or, un droit humain ne peut être limité qu’en vertu d’une loi et de manière strictement proportionnée par rapport à l’objectif poursuivi. Ceci va de pair avec le principe de nécessité en vertu duquel, face à une palette d’options, l’État doit nécessairement opter pour la moins attentatoire aux droits et libertés. Ces principes, alors qu’ils auraient dû guider la réflexion, n’ont reçu que peu d’écho dans la prise de décision politique.

Avec la volonté de défendre et promouvoir l’approche centrée sur les droits humains, ASF et ses partenaires ont développé un cadre de monitoring de l’impact des mesures Covid-19 sur les droits humains et les principes de l’État de droit, dès mars 2020 en Tunisie, en Ouganda, en Indonésie, en République démocratique du Congo et en Belgique. Ce monitoring a été complété par de nombreuses actions sur les questions d’accès à la justice, en particulier s’agissant du thème de la surpopulation carcérale. L’intégration systématique d’une « approche Covid-19 » a permis de mettre en évidence de multiples entorses, tous systèmes politiques confondus, aux principes essentiels de protection et promotion des droits humains. Les données récoltées dans ces quelques pays permettent, en tant qu’illustrations de tendances beaucoup plus générales, de dresser un inquiétant tableau à l’échelle globale.

L’absence de cadre de gouvernance international ou régional sur ces questions, a tout d’abord entraîné des réactions en chaîne de nature ad hoc, autour d’un renforcement quasi-systématique des pouvoirs exécutifs, même lorsque des solutions moins attentatoires aux libertés s’offraient aux décideurs politiques. Ceci a engendré une importante personnification de la réponse sanitaire, dans la mesure où ces renforcements sans précédent des pouvoirs exécutifs, comme en Tunisie ou en Ouganda, ont fait dépendre – et potentiellement soumis à l’arbitraire – le respect des droits humains d’un nombre limité de personnes.

De manière récurrente, il a également été observé que les mesures adoptées étaient souvent floues, tant quant à leur portée dans le temps que sur leur contenu. Le non-respect des mesures de distanciation sociale ou de confinement s’est souvent accompagné de mesures de criminalisation qui ont, à de multiples reprises, porté atteinte au principe de légalité des délits et des peines. En Indonésie, ces sanctions ont ainsi été édictées par des autorités administratives – et non la représentation nationale – et parfois sans aucun fondement juridique. Une grande place a été laissée à l’interprétation des forces de sécurité, autant de marge laissée à l’arbitraire et au potentiel d’abus, en particulier dans des États déjà fortement policiers. Dans certains cas, les autorités n’ont pas hésité à instrumentaliser les mesures de Covid-19 pour restreindre encore un peu plus l’espace civique et contraindre les défenseur.se.s des droits humains au silence.

Cette forte tendance à la criminalisation, qui a pu aller jusqu’à la détention des personnes en infraction, s’est ainsi inscrite en porte-à-faux avec la logique-même de distanciation sociale prônée par les autorités dans des contextes de forte surpopulation carcérale. La suspension des activités judiciaires a également conduit à la détention prolongée et potentiellement illégale de personnes en situation de détention préventive ou provisoire. Les appels à la déflation carcérale déjà préexistant à cette crise sanitaire se sont multipliés face à la vulnérabilité accrue des détenu.e.s, et les atteintes disproportionnées à leurs droits causées par la suspension du droit de visite. Si certains États, comme l’Ouganda ou la Tunisie, ont finalement procédé à la libération – parfois provisoire seulement – des détenu.e.s en fin de peine ou condamné.e.s pour délits mineurs, l’effet d’annonce s’est vite estompé alors que les  prisons ont vite retrouvé un taux d’occupation similaire, sinon supérieur, à celui qui prévalait avant le début de la crise

La situation des détenu.e.s n’est qu’une illustration de l’impact différencié et potentiellement discriminatoire des mesures sanitaires subies par les catégories de personnes déjà en situation de vulnérabilité. La recrudescence des cas de violences basées sur le genre, notamment en contexte domestique, a été systématique ; les fragilités préexistantes ont encore davantage exposé les personnes, non seulement à la crise sanitaire, mais également à ses conséquences socioéconomiques ravageuses. Une étude menée en Belgique l’a très clairement mis en évidence, alors que les mesures, a priori neutres dans leur formulation, ont produit des effets particulièrement néfastes sur les personnes migrantes, les personnes racisées et les détenu.e.s, s’apparentant ainsi à des mesures de discrimination indirecte.

Ces diverses tendances observées ne constituent finalement que l’exacerbation de fragilités structurelles et individuelles qui préexistaient à la crise. Alors que les perspectives de sortie de crise sont elles-mêmes incertaines, il est plus important que jamais de poursuivre et ancrer ce travail de monitoring et, surtout, d’intégrer l’approche centrée sur les droits humains dans les mécanismes de gouvernance et d’évaluation mis en place tout au long de cette année. Les sociétés civiles ont été bien trop reléguées à leur rôle de chienne de garde, sans qu’un espace ne leur soit mis à disposition pour qu’elles puissent participer constructivement – sur la base notamment des données de terrain telles que celles récoltées par ASF et ses partenaires – à ces cadres de dialogue.