Un long processus : l’Ouganda adopte une politique de justice transitionnelle

Le 17 juin 2019, au terme d’un processus de développement long d’une décennie, le Gouvernement ougandais annonçait l’adoption de la National Transitional Justice Policy (NTJP). Cette annonce a été suivie d’une publication officielle du texte en septembre. L’adoption de cette politique permet de réaliser, du moins partiellement, les engagements pris en matière de justice transitionnelle par le gouvernement lors du processus de paix de Juba, amorcé en 2006, ainsi que certaines de ses obligations constitutionnelles. La NTJP fixe un cadre juridique et institutionnel pour les enquêtes, les poursuites, le déroulement des procès ainsi que les réparations et ses alternatives. Ces questions sont regroupées sous cinq domaines prioritaires :
  • La justice formelle,
  • La justice traditionnelle,
  • La construction de la nation et la réconciliation,
  • L’amnistie
  • Et les réparations
La NTJP se donne comme objectif général de contribuer à la réalisation de la paix et de la stabilité ainsi que la cohésion sociale en Ouganda. Pourquoi mettre en place un processus de Justice Transitionnelle en Ouganda est-il si important ? L’adoption de la NTJP suscite de l’espoir dans le pays; en particulier pour les victimes qui, depuis deux décennies, n’ont aucune assurance quant au traitement des violations qu’elles ont subies dans le passé. De plus, même si des précisions s’imposent, ce texte définit les voies par lesquelles les parties prenantes pourront contribuer à sa mise en œuvre. En particulier, la NTJP précise que le gouvernement mettra en place un environnement propice à sa mise en œuvre et que cette mise en œuvre se fera dans une approche multisectorielle et multi dimensionnelle regroupant les différents acteurs concernés. Enfin, son financement proviendra non seulement d’acteurs gouvernementaux mais aussi de parties prenantes non-étatiques telles que des Organisations de la Société Civiles (OSC) et les partenaires de développement. Un long processus d’adoption  L’élaboration de la NTJP découle d’un important processus consultatif, participatif et inclusif s’appuyant sur des recherches menées par le « Justice Law and Order Sector » (JLOS) ainsi que sur des consultations de la société civile. Aux prémices du processus de formulation, des efforts ont été réalisés pour recueillir le point de vue et les contributions de la société civile à travers une initiative de la JLOS, le « Transitional Justice Working Group ». Cependant, au cours des phases suivantes, la consultation s’est limitée à des séances plénières et seuls des acteurs du gouvernement ont continué à être consultés, écartant de ce fait la voix de la société civile. Les OSCs ont alors pris l’initiative d’organiser des assemblées consultatives au sein de leurs réseaux pour continuer à opérer leur plaidoyer en rendant compte de leurs résultats au JLOS. Elles ont continué à pousser pour l’adoption du texte en offrant une plateforme aux acteurs concernés, notamment aux Membres du Parlement à travers le Great North Parliamentary Forum, pour accélérer le développement de la NTJP. Quelles sont les prochaines étapes ? Afin que la NTJP atteigne ses objectifs, il semble fondamental que sa mise en œuvre ne soit pas davantage retardée et que certaines parties soient clarifiées. Tout d’abord, le ministère de l’Intérieur, en charge de la supervision de la mise en œuvre, devrait mettre en place une structure de coordination efficace, capable de mettre en œuvre les orientations politiques prévues dans tous les secteurs concernés et de coordonner les contributions respectives des multiples acteurs impliqués. Celle-ci devrait tout particulièrement se concentrer sur l’organisation de la participation des OSCs au processus de Justice Transitionnelle. Ces dernières entretiennent un lien étroit avec les bénéficiaires originaires des anciennes zones de conflit, et ce surtout avec les victimes ayant subi des violations de leurs droits humains. Ensuite, la NTJP, qui ne définit qu’un cadre général, conditionne une part considérable de la mise en œuvre de ses propres modalités à la mise en place de législations complémentaires, qui restent n’existent pas encore à l’heure actuelle. La NTJP prévoit notamment l’adoption d’une loi sur la Justice Transitionnelle ainsi que des législations spécifiques concernant :
  • La participation des victimes et des témoins,
  • Les mécanismes de justice traditionnelle,
  • Et la mise en place réparations substantielles
Compte tenu de la longueur du processus qui a conduit à l’adoption de la NTJP, des retards supplémentaires d’ordre bureaucratique risquent d’aggraver le sentiment de lassitude des personnes impliquées dans le processus de Justice Transitionnelle, et tout particulièrement les victimes. Enfin, le texte reste vague quant à la question des réparations. L’idée de mettre en place un fond de réparation, évoquée dans les premières versions du texte, a été abandonnée. La NTJP mentionne un « fond consolidé », sans plus de précision. Le texte omet la question des réparations à accorder par les tribunaux aux victimes ayant subi des atrocités dans le passé. Il ne précise pas non plus les voies concrètes pour les obtenir au cours de procédures judiciaires, qu’elles soient d’ordre financier ou d’autre nature. Si ce cadre n’est pas défini, il mettrait en péril les objectifs de la NTJP. Les victimes en Ouganda espèrent avant tout des réparations et celles-ci sont souvent une condition de leur engagement dans les processus de Justice Transitionnelle. L’absence de perspective en la matière est susceptible de décourager les victimes. Leur participation aux procédures judiciaires est pourtant un élément essentiel dans la lutte contre l’impunité mais également dans la capacité de la justice à réaliser ses fonctions de réconciliation et de réparation en Ouganda.

La lassitude des victimes dans l’affaire Thomas Kwoyelo

Kampala, 16 mai 2019 – En Ouganda, ASF apporte un soutien continu aux victimes des crimes pour lesquels Thomas Kwoyelo est actuellement jugé devant la Division des Crimes Internationaux (International Crime Division ou ICD). En avril dernier, ASF, les avocats des victimes, le greffier de l’ICD et l’International Center for Transitional Justice (ICTJ), ont joint leurs efforts dans le but d’informer les victimes sur les derniers développements du procès, tout en recueillant et relayant leurs opinions auprès des instances concernées. Au cours des différentes sessions tenues auprès des communautés d’Obiangic, Abera, Lamgoi, Perecu et Pabbo, de nombreux participants ont déploré leur manque d’information quant aux développements de l’affaire. Un grand nombre d’entre eux ont également manifesté un désintérêt grandissant pour l’affaire, comme illustré par ce participant : « Cette réunion n’est pas importante pour nous. Ce qui nous importe ce sont les résultats du procès. Ce procès dure depuis si longtemps. Il devrait bientôt se terminer pour que nous puissions obtenir compensation pour le mal que nous avons subi. » Manifestement, cette attitude résulte de l’absence d’implication directe des victimes dans l’affaire ainsi que de la longueur du procès, qui a débuté en juillet 2011. Si les préoccupations des victimes ne sont pas prises en compte, leurs droits tels qu’entérinés dans diverses lois consacrant la participation des victimes risquent d’être vidés de leur sens. Le fait que les victimes continuent à souffrir des conséquences du conflit (orphelins laissés à l’abandon, personnes souffrant de handicap physique ou mental, etc.) ne fait qu’amplifier le risque que les procédures judiciaires perdent de leur valeur à leurs yeux, celles-ci ne voyant pas en quoi elles seraient susceptibles d’améliorer leur situation actuelle. Bien qu’un important complément aux efforts de recherche de vérité et de justice, les mesures provisoires, les projets et les interventions des acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux se sont avérés insuffisants ou inefficaces pour répondre aux besoins les plus fondamentaux des victimes. En outre, si de nombreuses communautés de victimes appellent à la reconnaissance des responsabilités, leurs préoccupations concernant les réparations sont également constamment soulevées : qui recevra ces réparations, qui les paiera et sous quelles formes seront-elles accordées ? Au-delà des questions de droits, les procédures pénales ne peuvent remplir leurs fonctions réparatrice et curative que si elles sont perçues comme utiles par les victimes et leurs communautés. Dans le cas présent, cela passe par :
  • Le maintien d’une interaction constante et significative entre les victimes et leurs avocats, ces derniers assurant leur participation au procès.
  • La gestion des attentes des victimes quant à leur participation au procès, en veillant à ce qu’elles comprennent la portée de leur intervention dans le processus de justice devant l’ICD : cela implique également que l’ICD et le gouvernement ougandais clarifient certains aspects de la participation des victimes, notamment leur droit à la réparation.
  • La promotion de l’implication des victimes dans l’exercice de leurs droits de participation : les efforts proposés comprennent la présence physique au procès pour suivre les procédures judiciaires des victimes par l’intermédiaire de leurs représentants.
  • L’amélioration de l’aide transitoire accordée aux victimes : en attendant l’achèvement du procès, il est nécessaire de déployer des efforts significatifs, efficaces et holistiques pour soutenir les victimes là où elles en ont le plus besoin. A cet égard, nous continuons de préconiser l’adoption du projet de politique de justice transitionnelle.
Les dispositions relatives à la participation des victimes et l’incorporation des principes pénaux internationaux dans le système juridique national ougandais ont ouvert de nouvelles possibilités pour les victimes d’obtenir justice en Ouganda. Le procès Kwoyelo étant la première tentative en la matière, il est d’autant plus important que ce précédent soit adéquatement développé, de sorte que le droit de participation des victimes contribue de manière significative aux efforts en matière de justice transitionnelle dans le pays.
Photos © ASF

Un procès historique: Thomas Kwoyelo en Ouganda

Kampala, le 20 septembre 2018 – Le lundi 24 septembre, le procès de Thomas Kwoyelo s’ouvrira devant l’International Crimes Division (ICD) en Ouganda. Cette affaire est la première opposant l’Armée de résistance du Seigneur au gouvernement ougandais, à être jugée devant une juridiction nationale. Notre directeur-pays partage ses inquiétudes sur l’opportunité donnée aux victimes de participer au procès et sur le manque de soutien de l’Etat à l’ICD. Qui est Thomas Kwoyelo ? De quoi est-il accusé ? Romain Ravet: Thomas Kwoyelo, alias Latoni, est un ancien commandant de l’Armée de résistance du Seigneur (Lord Resistance Army, LRA). Engagé dans la LRA sous le commandement de Joseph Kony, il y a atteint le grade de colonel. Il est accusé d’avoir mené une série d’attaques entre 1993 et 2005, sur le village d’Abera et les camps de personnes déplacées de Pagak et Pablo, accompagnées d’enlèvements, assassinats, mutilations et torture de dizaines de personnes, dont des femmes et enfants. Il s’était rendu en 2009 à l’armée ougandaise. En 2011, la Cour constitutionnelle avait accordé l’amnistie à Thomas Kwoyelo, mais la Cour suprême a renversé cette décision en 2015 et a déterminé qu’il pourrait être jugé pour des actes commis « hors de la poursuite de la guerre ». Depuis, l’affaire est pendante devant l’ICD, la juridiction nationale créée pour juger les crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Ouganda. L’affaire a commencé en 2011. Pourquoi le procès débute-t-il seulement ? R.R.: En premier lieu, le sujet de l’amnistie est complexe. En 2000, une loi (renouvelée depuis) a été adoptée, qui accorde l’amnistie à tous les soldats de la LRA ayant rendu les armes. Cette loi a été déterminante pour affaiblir la LRA et accompagner le processus de négociation de la paix. Cependant, elle entrait en contradiction avec le Statut de la Cour pénale internationale (CPI) et la constitution ougandaise, dans la mesure où elle accordait une amnistie globale pour tous les actes commis durant le conflit, y compris les crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Le débat a touché une corde sensible et s’est enlisé dans le dilemme classique « paix versus justice ». La Cour suprême a mis des années à clarifier les aspects légaux et établir une exception à la loi d’amnistie pour des crimes spécifiques. En second lieu, cette affaire est la première à avoir été traitée en vertu du Règlement de procédure et de preuve de l’ICD, un ensemble de dispositions qui visent à élever l’ICD au niveau des standards des juridictions internationales. En tant que partie au Statut de Rome, l’ICD répond au principe de complémentarité ; elle doit être capable de traiter des affaires de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité selon les mêmes standards que ceux suivis par la CPI. Cette affaire prend du temps car elle constitue une situation sans précédent pour l’ICD. L’ICD a entamé en 2016 la « phase préliminaire » du procès, qui vise à établir si les motifs d’accusation présentés par l’équipe du procureur sont valables. C’est plus difficile qu’il n’y parait car les charges contre Kwoyelo sont tirées du droit international, et leur application par une juridiction nationale ne va donc pas de soi. De même, en 2016, la juge d’instruction a accordé aux victimes alléguées de Kwoyelo le droit de participer à toutes les étapes de la procédure. Dans un pays où le système pénal est essentiellement centré sur le suspect, cette décision a créé un nouveau champ d’action pour lequel aucune règle du jeu n’existe encore ; l’ICD doit donc innover pour créer ses propres précédents.  Cette phase préliminaire a toutefois montré que l’ICD manque de moyens pour accomplir cette tâche gigantesque et que ses ressources demeurent limitées, malgré les efforts des ONG et des partenaires de développement. Par exemple, les juges de la Cour n’y sont pas affectés à plein temps. La juge en charge de la phase préliminaire devait combiner sa tâche avec la gestion quotidienne de la Haute Cour de Mbale, qui se trouve à six heures de route de Kampala.
Dialogue communautaire organisé par ASF sur le procès à venir © ASF/R. Ravet
Que va-t-il se passer dans les prochaines semaines ? R.R.: Le 30 août dernier, l’ICD a confirmé 93 chefs d’accusations contre Thomas Kwoyelo, pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et autres crimes. Le « procès principal » va débuter lundi devant l’ICD. La cour doit commencer l’audition des preuves pour trancher sur la culpabilité de Kwoyelo « au-delà de tout doute raisonnable ». Chez ASF, nous sommes principalement préoccupés par le droit des victimes de participer au procès. Cela implique deux éléments importants : leur participation aux audiences et leur capacité à pouvoir formuler des demandes de réparation en cas de condamnation de l’accusé. ASF appuie les deux avocats nommés par la Cour pour représenter les victimes. Nous avons déposé une demande pour la participation de 98 victimes à la procédure, mais sommes toujours en attente de réponse. Nous apportons également notre soutien à ces avocats pour qu’ils informent les victimes et recueillent leurs attentes par rapport au procès. Les victimes souhaitent vivement participer, mais ceci implique des considérations d’ordre logistique et sécuritaire. ASF fournit également un appui technique à la Cour et a mobilisé la société civile pour prendre en charge certains besoins. Nous ne pouvons toutefois pas nous substituer à l’obligation de l’Etat de mettre en œuvre la décision pré-judiciaire de 2016. En terme d’attentes, nos recherches ont montré que les victimes souhaitent avant tout des réparations. Le volet de la responsabilité est secondaire, sachant que les communautés demeurent divisées sur cette affaire. Beaucoup d’Ougandais du Nord sont toujours sensibles à la cause de la LRA (ce qui ne signifie pas qu’ils approuvent les crimes commis) ; beaucoup sont également sceptiques quant à la pertinence de voir Kwoyelo jugé par un mécanisme de justice formelle ougandaise : certains préféreraient qu’il soit soumis aux rituels traditionnels Acholi de réconciliation et punition. Ainsi, l’intérêt principal des victimes est d’obtenir une réparation pour les souffrances qu’elles ont subies. ASF a publié des lignes directrices sur les réparations ordonnées par la Cour, qui clarifient toutes les options existantes en droit. Des options existent donc bien, mais la réparation risque de rester virtuelle si elle doit dépendre de la solvabilité de Kwoyelo. Au-delà de la participation des victimes, ce procès est-il confronté à d’autres défis ? R.R.: Bien sûr! Cette affaire représente un coup d’essai pour l’ICD. La Cour devra démontrer son habilité à remplir les exigences en terme de standards internationaux dans toutes les questions. Il faut noter que le dossier du procureur repose grandement sur les témoignages des témoins. Comme la Loi et l’Unité de protection des témoins et des victimes et ne sont pas encore en place, l’équipe du procureur est préoccupée par la sécurité de ces témoins. Quant à la défense, elle ressent également les conséquences du manque d’appui de l’Etat à l’ICD. Les avocats de Kwoyelo éprouvent des difficultés à accéder aux potentiels témoins de la défense ; la question de la traduction et de l’interprétation doit également être réglée. Tous les jugements, y compris la confirmation des accusations, sont en anglais, une langue que Kwoyelo ne comprend pas. Là encore, la société civile essaie d’aider, mais c’est une obligation de l’Etat. Que recommandez-vous à l’avenir ? R.R.: L’ICD a besoin du soutien du gouvernement ougandais et d’autres parties prenantes. Le pouvoir judiciaire n’est pas à l’aise avec l’idée de donner à ce procès des moyens supérieurs à ceux reçus dans des procédures de droit commun. Pourtant, ce procès est spécial à tous les niveaux. La capacité de l’ICD à juger des crimes internationaux va directement affecter toutes les autres affaires pendantes, notamment l’affaire Mukulu qui a d’importantes implications sur les conflits régionaux en cours. Surtout, de nombreuses personnes du nord de l’Ouganda dépendent de ce procès pour panser leurs plaies et aller de l’avant dans leur vie. La communauté internationale est également aux aguets, pour voir si l’ICD « réussira » son test de complémentarité avec la CPI. Même si Kwoyelo est condamné, les victimes n’ont quasiment aucune chance d’obtenir réparation, sauf si l’Etat débloque un fonds spécial. Une rumeur cynique est en train de se répandre dans le Nord de l’Ouganda, selon laquelle il veut mieux être « une victime de d’Ongwen que de Kwoyelo ». C’est une forme d’expression désabusée de la frustration des victimes, mais qui montre aussi tous les intérêts en jeu. Les personnes affectées par le conflit vivent encore avec des plaies ouvertes, au sens propre comme au figuré. Les histoires autour du conflit sont nombreuses et complexes : les victimes blâment l’Etat presque autant que le LRA pour leur situation. Les débats houleux et les espoirs des années début 2000 ont laissé place à des discours pessimistes au sein des communautés affectées, qui désespèrent de voir l’Etat les aider à se remettre du conflit. Ce procès est à double tranchant : l’échec du procès pourrait élargir l’écart entre la population du Nord et le gouvernement, mais son succès pourrait aider à restaurer cette relation et permettrait aux populations de pouvoir tourner la page sur les crimes du passé. La participation effective des victimes pourrait bien devenir le facteur à faire pencher la balance. >> Contactez Romain Ravet, notre directeur-pays en Ouganda >> Téléchargez notre rapport d’observation des audiences des 24 et 25 septembre (PDF en anglais)
Photo de Couverture © ASF, Gulu, Septembre 2016

Tunisie: une période cruciale pour la justice transitionnelle

Tunis, le 13 mars 2018 – Créée en 2013 pour conduire le processus de justice transitionnelle en Tunisie, l’Instance Vérité et Dignité (IVD) entre dans la dernière année de son mandat. Les premiers procès liés aux violations des droits humains durant la dictature, s’apprêtent à démarrer devant les chambres spécialisées. En cette période cruciale, ASF co-organisait la semaine passée une conférence nationale: « Atteindre les objectifs de la justice transitionnelle : le rôle de la société civile et de l’Etat dans le post-IVD ». A travers cette conférence, ASF et ses partenaires entendaient faire le point sur l’avancement des travaux en matière de justice transitionnelle, établir les priorités pour les prochains mois, et préciser le rôle de la société civile et de l’Etat à l’issue du mandat de l’IVD. Le rendez-vous a malheureusement été marqué par une présence insatisfaisante de l’Etat. Lors de la séance inaugurale, des intervenants de renom ont évoqué différents enjeux éminemment politiques. Parmi ceux-ci, la décision communiquée le 27 février dernier par l’IVD de proroger d’un an son mandat. « M. Samir Dilou, actuel Député et ancien Ministre des droits de l’homme et de la justice transitionnelle, s’est exprimé à ce sujet pendant la conférence », explique Antonio Manganella, Directeur pays d’ASF en Tunisie : « Il a rappelé que la loi organique régissant la justice transitionnelle est très claire à ce sujet. L’IVD est autonome et n’est pas tenue de soumettre une demande d’autorisation au Parlement pour prolonger son mandat. » Le Premier président de la Cour de cassation et le Bâtonnier des avocats de Tunisie, ont quant à eux insisté respectivement sur la réforme de l’appareil judiciaire devant garantir irréversiblement l’indépendance de la magistrature, et sur le rôle des avocats. Trois ateliers ont ensuite abordé les domaines principaux de la justice transitionnelle: le volet judiciaire et la révélation de la vérité, les réparations pour les victimes et la mise en place du Fonds de la Dignité, ainsi que les garanties de non répétitions et les propositions de réformes que l’IVD devra proposer dans son rapport final. Préparés en collaboration avec les Commissaires de l’IVD, ces ateliers ont permis aux participants de mener des échanges constructifs sur l’état d’avancement des travaux de l’IVD et sur les principaux enjeux de la justice transitionnelle. Ils ont abouti à une série de recommandations et de conclusions, qui feront l’objet d’un suivi par les acteurs de la société civile. « Cette conférence s’est tenue dans un moment crucial du processus de justice transitionnelle », explique Amine Thabet, coordinateur de projet chez ASF. En effet, les procès judiciaires devant les chambres spécialisées doivent démarrer d’ici quelques semaines: l’IVD vient de transmettre au Tribunal de première instance de Gabès le premier dossier relatif aux violations graves des droits humains au cours de la dictature. « ASF mettra en place un dispositif d’observation des audiences afin de rendre compte de la correcte tenue des procès en termes de garanties pour les victimes et de respect des principes du procès équitable. » A lire également : le communiqué d’ASF sur le démarrage du volet judiciaire de la justice transitionnelle en Tunisie.
La conférence « Atteindre les objectifs de la justice transitionnelle » était organisée par ASF, l’IVD et les organisations membres du Comité de suivi pour la justice transitionnelle : Association de Défense des Libertés Individuelles, Al-Bawsala, Ordre National des Avocats de Tunisie, Organisation Mondiale Contre la Torture, Association Al-Karama, Réseau Tunisien pour la Justice Transitionnelle et Labo’ démocratique.
Photos © IVD

Le thème de la représentation légale des victimes s’invite à l’Assemblée des Etats Parties au Statut de Rome

Bruxelles, le 18 décembre 2017 – A l’occasion la Seizième Assemblée des Etats Parties au Statut de Rome, ASF co-organisait avec REDRESS un évènement parallèle sur la représentation légale des victimes devant la Cour pénale internationale (CPI), l’International Crimes Division (ICD) en Ouganda et la Cour Pénale Spéciale (CPS) en République Centrafricaine (RCA). Cet évènement était l’occasion de dresser un bilan des pratiques de représentation des victimes aux procédures pénales en matière de crimes graves. La participation des victimes constitue en effet l’une des grandes avancées du droit international pénal, dont le catalyseur fut sans nul doute le Statut de Rome. Ses dispositions en la matière ont depuis influencé grand nombre de juridictions hybrides ou domestiques, établies ou mandatées en vue de la poursuite de ces crimes internationaux. La participation des victimes a ainsi été récemment introduite devant l’ICD en Ouganda, pourtant juridiction de common law dont la participation en matière pénale se limite à une déclaration de la victime. Pour autant, la pratique de la participation des victimes n’est pas sans défis, notamment s’agissant de leur représentation par un avocat. La CPI n’a eu de cesse de recourir à la représentation commune des victimes, une possibilité ouverte par le Statut de Rome. L’affaire Ongwen en Ouganda a cependant fait émerger les limites de l’approche adoptée par les organes de la Cour, lorsque l’aide légale fut dans un premier temps refusée aux victimes ayant choisi un représentant ougandais (plus de 2.600 à l’heure actuelle), la Cour lui préférant le Bureau du Conseil public pour les victimes. Les difficultés rencontrées par les victimes devant la CPI peuvent servir de leçon dans le développement des cadres normatifs d’autres juridictions, telles que la CPS en RCA, dont le projet de Règlement de Procédure et de Preuve prévoit également la possibilité de représentation commune. Or, la composition du Corps spécial d’avocats de la CPS, qui assurera tant la représentation des accusés que des victimes, suscite de nombreuses questions, à commencer par l’équilibre entre avocats internationaux et centrafricains, ainsi que les conditions de l’aide légale. Les données récoltées par ASF sur le terrain soulèvent en effet de nombreux enjeux de représentativité de ces avocats, dans un contexte marqué par de fortes tensions ethniques, qui seront sans doute au cœur des travaux de la CPS. Il est donc crucial pour la CPS de prendre en compte ces difficultés dans le développement de ses activités, pour mieux tenter de les surmonter, et s’atteler ainsi au renforcement du système judiciaire dans son ensemble. Si le choix de leur représentant par les victimes de crimes internationaux peut se voir limiter pour des raisons logistiques et financières, la représentation légale se doit in fine d’être basée sur une relation de confiance et de transparence entre l’avocat et son client. Cette relation est clé dans la recherche de justice, dont le but ultime devrait être la délivrance d’une réparation adaptée au dommage subi, fondée sur les aspirations et attentes des victimes.
L’évènement parallèle a reçu le soutien des gouvernements du Royaume Uni et de Finlande et était organisé sous l’égide du Groupe de travail sur les droits des victimes.
>> Télécharger le programme de l’évènement parallèle (PDF)

Le soutien d’ASF à l’International Crimes Division en Ouganda

Kampala, le 28 août 2017 – Depuis 2012, ASF soutient l’International Crimes Division (ICD), une division créée au sein de la Cour suprême dans le cadre des efforts du gouvernement ougandais pour la mise en œuvre des Accords de paix de Juba. L’ICD a pour compétence de juger les crimes graves, comme les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les génocides, le terrorisme, le trafic des êtres humains, la piraterie et d’autres crimes internationaux. Étant donné les conflits violents qui ont déchiré l’Ouganda par le passé, comme la guerre civile contre l’Armée de résistance du Seigneur, l’ICD joue un rôle crucial pour rendre justice suite aux atrocités commises dans le pays.  La création de l’ICD suscite de grands espoirs quant à la mise en place d’un processus rapide de responsabilité nationale. Elle a dû cependant entreprendre une première étape de développement technique. « ASF est intervenue pour fournir une expertise et un soutien techniques dans le cadre de l’élaboration des Règles de procédure et de preuve de l’ICD, du projet de loi et, par la suite, des lignes directrices pour le fonctionnement de son Greffe », explique Romain Ravet, Directeur pays d’ASF en Ouganda. Extrêmement techniques de par leur nature, ces trois interventions ont été nécessaires pour que la division puisse fonctionner à long terme et prendre des décisions conformes à l’État de droit. Par ailleurs, ASF a entrepris d’établir des principes sur les réparations pour les victimes d’atrocités de masse. Il a également fallu sensibiliser la population au mandat de l’ICD, difficile à comprendre pour la population. « Cependant, le succès de l’ICD, qui représente la pierre angulaire de la justice transitionnelle, repose sur sa capacité à mobiliser les victimes des atrocités passées dans le cadre de ce processus de responsabilisation », ajoute M. Ravet. ASF a participé à la diffusion en direct des audiences et à la communication aux communautés affectées des résultats des procès en cours. De plus, ASF continue de travailler avec les avocats des victimes dans le cadre du procès de Thomas Kwoyelo (ancien commandant de la l’Armée de résistance du Seigneur).
Sensibilisation des communautés affectées
En 2015, ASF a mené des activités de sensibilisation avec l’équipe de l’ICD, composée de juges, de procureurs, d’avocats des victimes et d’officiers de police, afin de favoriser les interactions entre les juges et les communautés et de distribuer des documents fournissant des informations sur le rôle de l’ICD. Établie il y a six ans, l’ICD est encore aujourd’hui une jeune cour. Son mandat correspond parfaitement aux besoins liés à la justice transitionnelle en Ouganda et nombreux sont ceux qui s’attendent à ce qu’elle fournisse prochainement des résultats tangibles. La phase préliminaire du procès de Thomas Kwoyelo prenant plus de temps que prévu, le soutien à l’ICD doit être renforcé. ASF encourage vivement le gouvernement ougandais et tous les partenaires concernés à allouer suffisamment de ressources à l’ICD. Cela lui permettra d’achever la phase préliminaire du procès de Thomas Kwoyelo, et son procès éventuel. L’ICD doit être entièrement fonctionnelle et ses unités doivent disposer du personnel qualifié. Actuellement, l’ICD ne dispose pas, entre autres, d’unité pour la protection des victimes et des témoins. Un soutien continu à l’ICD est essentiel pour garantir son succès et celui du processus de justice transitionnelle entamé en Ouganda. Pour en savoir plus sur l’ICD et sur son fonctionnement, cliquez sur le lien (PDF en acholi et en anglais).
Photo: L’équipe d’ASF a accueilli celle de l’ICD dans son nouveau bureau à Naguru pour discuter notamment de la finalisation des Lignes directrices du Greffe de l’ICD. Étaient présents (de droite à gauche) Son Honneur Harriet Ssali, Jane Adong, Diana Natukunda, la Juge Elizabeth Nahamya, le Juge Moses Mukiibi, Romain Ravet, James Nuwagaba et Philippa Bogere © ASF

Les mendiants n’ont pas le choix

Kampala, le 12 juillet 2017 – De février à avril 2017, ASF a mené des consultations auprès de victimes des atrocités de masse perpétrées par le groupe rebelle Lord’s Resistance Army dans le nord et l’est de l’Ouganda, en vue de connaître leurs opinions quant aux réparations envisageables pour les préjudices subis. Ces consultations visaient à mieux comprendre les besoins et les priorités des victimes et à connaître leurs impressions quant aux discussions en cours dans le cadre du processus de justice transitionnelle. Nous avons demandé à notre Directeur pays de faire le point sur les questions soulevées.  Quelles sont les principales conclusions de l’étude d’ASF A Beggar has no Choice (Les mendiants n’ont pas le choix)? Romain Ravet: Elle permet de mettre en lumière le besoin des victimes d’obtenir réparation pour les préjudices subis durant le conflit. Elle souligne la nécessité de les reconnaître en tant que victimes ayant subi des dommages et ayant pleinement droit à ces réparations. Au cours des consultations, nous avons réalisé, avec beaucoup de tristesse, que la plupart des victimes se considèrent comme des « mendiants ». Or, ce n’est absolument pas le cas. Ces personnes détiennent des droits, et elles doivent être reconnues en tant que telles. Malheureusement, elles doivent faire face à une injustice criante, car les crimes dont elles ont été victimes par le passé sont la source de difficultés vécues, aujourd’hui, dans leur quotidien. Par exemple, un grand nombre de femmes ont été victimes de violences sexuelles, ce qui est déjà en soi une expérience extrêmement traumatisante. Pourtant, elles ne sont pas reconnues comme victimes de ces crimes : souvent, elles ne bénéficient ni d’un soutien psychologique ni d’une prise en charge pour les enfants nés de la guerre/du viol. Cette situation est très problématique : ces personnes sont marginalisées, mises au ban de la société ougandaise.  Pour clarifier, de quels crimes parlez-vous et comment en obtenir réparation ? L’Armée de la résistance du Seigneur (LRA) a pris les armes en 1987, et le conflit a secoué le nord de l’Ouganda durant deux décennies. En janvier 2004, le gouvernement ougandais a renvoyé le cas de la LRA devant la Cour pénale internationale (CPI). Les commandants de la LRA ont été inculpés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Ces atrocités ont laissé de multiples traumatismes physiques et psychologiques chez de nombreuses victimes. Il est urgent de leur fournir un soutien psychosocial pour leur permettre de redevenir des membres à part entière de leur communauté. Il est aussi nécessaire de leur donner accès aux services publics, à de l’eau potable, à l’enseignement pour leurs enfants et à des outils agricoles, pour ne citer que quelques exemples. L’étude d’ASF détaille leurs besoins et les moyens d’y répondre. Pourquoi un tel retard dans la mise en œuvre des réparations pour les victimes de crimes ? Le projet de politique de justice transitionnelle qui vise à mettre en place des dispositifs exhaustifs dans l’optique d’encourager la vérité, la réconciliation, la responsabilité et les réparations des crimes passés, n’a toujours pas été présenté au Parlement ougandais. Néanmoins, cette situation ne peut excuser l’absence de réparations pour les victimes. Lors des différentes consultations, les victimes ont clairement fait part de ce dont elles ont besoin. Le gouvernement, la société civile, les partenaires du développement et les autres parties prenantes concernées doivent intervenir pour leur apporter un soutien tangible. Les programmes de développement gouvernementaux sont un service que le gouvernement en place est tenu de fournir aux citoyens. Ils ne peuvent donc être considérés comme des réparations. Selon vous, comment les réparations peuvent-elles restaurer la dignité des victimes ? Aucune réparation n’est réellement à même de restaurer entièrement la dignité des victimes, mais certaines mesures peuvent leur apporter un soulagement. Elles pourront se projeter dans un avenir meilleur pour elles-mêmes et pour leurs enfants si ceux-ci bénéficient d’une éducation gratuite. De meilleurs services de santé leur permettraient de soulager la douleur dont elles souffrent aujourd’hui et de pouvoir travailler pour subvenir à leurs besoins. Une des victimes nous confiait qu’elle ne peut plus bêcher son jardin en raison de la douleur physique qu’elle ressent toujours suite à ses blessures par balles. Les victimes se retrouvent marginalisées, et il est urgent de leur donner les moyens de faire de nouveau entendre leur voix. À notre sens, le droit est un langage approprié pour faire entendre ses besoins et ses aspirations auprès des acteurs qui ont le devoir de garantir les droits humains. Nous estimons qu’il est fondamental de transformer les victimes d’atrocités en détenteurs actifs de droits, capables de prendre part à la société civile ougandaise en étant conscients de leurs droits et en étant accompagnées pour les faire valoir. Quel plaidoyer ASF souhaite-t-elle présenter devant le gouvernement ougandais, le Parlement, les organisations de la société civile et les partenaires du développement en ce qui concerne les réparations pour les victimes ? Nous les appelons à écouter la voix des victimes. Elles ont des besoins spécifiques, et une partie du soutien qui leur est proposé aujourd’hui n’est pas compatible avec leur réalité. Nous souhaitons également que l’accent soit mis sur un soutien tangible, de long terme, au lieu de mesures ponctuelles. *** ASF a milité activement pour faciliter l’action des victimes devant l’International Crimes Division (ICD), en portant les efforts pour en établir les règles de procédure et de preuve, la proposition de loi et la proposition de lignes directrices pour le greffe. Tous ces documents comprennent des dispositions expliquant aux victimes la procédure à suivre pour agir devant les tribunaux et se faire représenter au mieux. ASF a aussi étroitement travaillé avec les avocats des victimes lors de l’affaire Thomas Kwoyelo par le biais de la formation et du suivi du procès. Plus important encore, nous interagissons avec les victimes au travers de campagnes de sensibilisation et d’information qui leur permettent de connaître leurs droits. L’étude A Beggar has no Choice a été menée avec l’appui de la Fondation MacArthur.
Photo de couverture © ASF

Droits humains: la Tunisie sous examen

Tunis, le 2 mai 2017 – La Tunisie présente aujourd’hui son bilan en matière de droits humains, à l’occasion de l’Examen Périodique Universel initié par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies. Avocats Sans Frontières, avec d’autres organisations de la société civile, y a contribué par le biais d’un rapport alternatif. Elle appelle en particulier au retrait du projet de loi de réconciliation économique et financière, qui permettrait de clore les procédures judiciaires pour corruption lancées depuis le départ de l’ex-président Zine el-Abidine Ben Ali il y a six ans. L’Examen Périodique Universel (EPU) a comme objectif d’examiner, tous les quatre ans, la situation des droits humains dans les pays membres de l’Organisation des Nations Unies. C’est la troisième fois que la Tunisie y est soumise. Le processus consiste en une revue par les pairs (les autres Etats) du respect des engagements pris en matière de respect et de promotion des droits humains. La société civile nationale et internationale y contribue par le biais de rapports alternatifs qui sont pris en compte lors de l’examen. Avocats Sans Frontières (ASF) fait partie des ONG ayant contribué à ce bilan. Conjointement avec cinq de ses partenaires,* elle a partagé avec le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies plusieurs préoccupations concernant la transition démocratique et la construction d’un état de droit en Tunisie. « Nous appelons notamment l’Etat tunisien à renforcer la lutte contre l’impunité, qui devrait constituer l’une des priorités de l’après-révolution », explique Antonio Manganella, Directeur pays d’ASF en Tunisie. « Le projet de loi dit de réconciliation économique, introduit en 2015 et à nouveau débattu aujourd’hui au Parlement, ne constitue pas un signe encourageant en ce sens. S’il venait à être adopté, il accorderait une large amnistie aux dirigeants, fonctionnaires et hommes d’affaires accusés de corruption ou de détournement de fonds. » Les milliers de procédures judiciaires lancées depuis 2011 seraient abandonnées, vidant de leur substance la justice transitionnelle et ses mécanismes de révélation de la vérité, d’arbitrage, de conciliation, de réparation, de réforme institutionnelle et de garantie de non-répétition. En plus d’appeler fermement au retrait du projet de loi, ASF et les autres organisations à l’initiative du rapport insistent sur la nécessité de garantir les libertés d’opinion, d’expression, d’association, de rassemblement et de manifestation, d’abolir la peine de mort et la pratique de la torture, et de garantir et protéger l’égalité et la non-discrimination à l’égard des femmes et des personnes LGBTI. Le résultat de l’EPU est un document listant les recommandations dont l’Etat concerné devra justifier de la mise en œuvre lors du prochain examen. Tous les documents concernant les examens en cours et passés pour la Tunisie sont disponibles sur le site du Haut-Commissariat des Nation Unies aux Droits de l’Homme. * La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme, l’Organisation Mondiale contre la Torture et les organisations tunisiennes Doustourna, Association de Défense des Libertés individuelles et Association tunisienne pour la justice et l’égalité.
Photo: « Il reste encore beaucoup à faire… ». Les organisations de la société civile sont plus que jamais mobilisées pour garantir le respect des droits humains en Tunisie.

ASF en RD Congo: 15 ans d’engagement

Kinshasa, le 13 mars 2017 – Il y a 15 ans, presque jour pour jour, ASF ouvrait son premier bureau à Kinshasa et démarrait ses activités en faveur de l’état de droit en République démocratique du Congo. L’organisation y est toujours active aujourd’hui, engagée pour garantir à la population l’accès à une justice de qualité. Que d’avancées, depuis nos débuts! Que de rencontres, d’échanges, d’énergie déployée, de difficultés surmontées, de projets menés. Ce 15e anniversaire est l’occasion pour nous de remercier toutes les personnes et organisations avec lesquelles nous collaborons – barreaux, avocats, organisations de la société civile, partenaires techniques et financiers, citoyens… et, bien sûr, nos équipes. C’est aussi l’occasion de revenir sur quelques dates-clés pour notre organisation. Que d’avancées, mais aussi que de défis à venir: le besoin de justice est plus que jamais vivant au sein de la société congolaise. Nous espérons pouvoir y contribuer encore longtemps. 2002-2004
  • ASF s’installe en RD Congo. 95% de la population y ignore les notions de droit écrit et de justice formelle.
  • Organisation d’un programme de formation intensif pour les magistrats dans différentes provinces et traduction dans les quatre langues vernaculaires officielles de la Constitution de transition.
  • Partenariat avec la bibliothèque et la faculté de droit de Kinshasa.
2004-2005
  • Ouverture d’une première boutique de droit dans le quartier de Kasa Vubu à Kinshasa, en partenariat avec l’Association de Femmes Avocates du Congo. 250 personnes s’y rendent chaque mois pour y recevoir des conseils juridiques clairs et accessibles à tous. Des campagnes de sensibilisation et d’information sont aussi organisées sur les marchés, à la sortie des églises, etc.
  • Organisation des premières audiences foraines: les tribunaux se déplacent pour amener la justice dans les régions les plus reculées.
2006-2010
  • ASF mène un projet régional de lutte contre la torture.
  • Intensification des efforts pour rompre le cycle de l’impunité des crimes internationaux. ASF fournit entre autres une assistance judiciaire aux accusés et aux victimes dans les procès tenus en RD Congo pour crimes internationaux, ainsi qu’aux victimes devant la Cour pénale internationale à La Haye.
2008-2012
  • ASF lutte contre l’impunité des auteurs de crimes sexuels, commis massivement dans le pays. Différentes actions sont mises en place pour parvenir à la condamnation des auteurs: encadrement des ONG locales, renforcement des capacités des avocats, sensibilisation, conseils juridiques et assistance judiciaire des victimes, études et publications…
  2011-2014
  • ASF intervient dans des affaires emblématiques impliquant des défenseurs des droits de l’homme menacés, comme les dossiers concernant Floribert Chebeya ou la compagnie Siforco à Yalisika. En contribuant à changer la situation injuste vécue par les intéressés, ASF veut aussi générer par le droit les conditions pour un changement durable de la problématique qui est en jeu.
  • ASF aide sept communautés de la localité de Lisala en Equateur à mieux défendre leurs droits face aux compagnies forestières.
2012-2016 2016-2017
  • ASF soutient les défenseurs des droits humains et les autres acteurs de la société civile participant aux débats démocratiques, afin de renforcer leur espace d’action et de participation aux débats publics pendant le processus électoral.
2017-2021
  • ASF poursuit ses efforts pour la promotion de l’accès à la justice en RD Congo, en appuyant la participation des populations à la prévention et la résolution de conflits, et en renforçant les mécanismes favorisant la consolidation de la paix.

Tunisie: lutter contre le terrorisme, mais à quel prix?

Tunis, le 13 février 2017 –  ASF, l’Ordre National des Avocats en Tunisie (ONAT), et la Ligue Tunisienne pour la défense des Droits de l’Homme (LTDH) appellent les autorités tunisiennes à revoir la loi antiterroriste de 2015. L’application de cette loi pose problème au regard du droit au procès équitable. Or, selon les trois organisations partenaires, le respect des droits humains est la principale arme d’un Etat démocratique pour lutter efficacement contre le terrorisme. La loi antiterroriste avait été adoptée par le Parlement en juillet 2015, dans le sillage des attaques sanglantes contre le musée du Bardo dans la capitale tunisienne et à Port el-Kantaoui, l’une des plus importantes stations balnéaires du pays. Ces attentats avaient causé la mort de 60 personnes. La mise en application de cette loi a fait l’objet d’une analyse fouillée par le Réseau d’observation de la justice tunisienne (ROJ). Créé conjointement par ASF, l’ONAT et la LTDH, le ROJ a observé 164 procès liés au terrorisme répartis sur 232 audiences, soit plus de la moitié des affaires liées au terrorisme déférées par les juges d’instruction devant la justice depuis l’entrée en vigueur de la loi. « Dans la pratique, on a constaté beaucoup de manquements aux fondements du procès équitable », regrette Antonio Manganella, Directeur ASF en Tunisie. « Au-delà des dysfonctionnements judiciaires récurrents, la loi antiterroriste a entraîné des dépassements majeurs, qui ont eu un effet pervers sur toute la chaîne pénale ». Ainsi, la garde à vue peut durer jusqu’à 15 jours et la personne mise en garde à vue peut se voir refuser la présence d’un avocat durant les premières 48 heures de sa détention. Réservées aux seules affaires de terrorisme, ces dispositions « exposent à des risques accrus de mauvais traitements », estime M. Manganella. Les données issues de l’observation des procès ont été présentées dans un rapport, qui fait également des recommandations visant à concilier approche sécuritaire et respect des droits humains. « La recommandation la plus importante au législateur, c’est: revoyez cette loi qui a été faite sous pression politique », a déclaré le vice-président de la LTDH, Bassem Trifi, à l’Agence France Presse lors de présentation du rapport à Tunis, début février. Pour ASF et ses partenaires, consolider et protéger les droits humains ainsi que donner la primauté au droit sont indispensables pour gagner le combat contre le terrorisme. De même, l’adoption de mesures sécuritaires efficaces et la protection des droits humains doivent être entendus comme des objectifs non pas contradictoires, mais complémentaires et synergiques. Le rapport Lutte contre le terrorisme et pratiques judicaires en Tunisie : le procès équitable à l’épreuve est disponible sur le site d’ASF en français et en arabe. Créé en 2012, le ROJ vise à observer les pratiques judiciaires dans le cadre des procès pénaux afin d’en évaluer les avancées en matière de respect des standards internationaux et d’émettre des recommandations de réforme du système judiciaire.
Photo © ASF/H. Gebs