La justice internationale dans tous ses états (2/4) : le Népal

Durant ces mois d’été, ASF, dans le cadre du projet Intersections, vous informe des dernières actualités en matière de justice internationale. En direct du terrain, nos équipes font le point : avancées, blocages, appréhensions et attentes concernant la justice internationale et un meilleur accès à la justice pour les victimes.
Cette semaine, Prashannata Wasti, qui travaille pour notre partenaire INSEC, partage les dernières nouvelles en provenance du Népal. Découvrez de quelle manière le terrible tremblement de terre d’avril dernier interfère dans l’accès à la justice.

Q. : En mai 2015, plusieurs régions du Népal ont été touchées par un terrible tremblement de terre. Dans quelle mesure cette catastrophe naturelle a-t-elle un impact sur l’accès à la justice et la prise en charge des crimes du passé ?
R : Après le tremblement de terre, la question de la justice internationale a subi un revers. Cependant, le tremblement de terre a tout de même eu un aspect positif : tous les grands partis politiques ont accepté de promulguer la nouvelle constitution pour la fin du mois de juillet. « Pour l’instant, une Constitution intérimaire est en vigueur au Népal. Elle a été rédigée dans le but d’initier le processus de transformation d’une monarchie unitaire et constitutionnelle vers une république fédérale. Un processus participatif permettant aux défenseurs des droits de l’homme d’examiner et de commenter le nouveau projet de Constitution a été mis sur pied. Nous espérons que lorsque la nouvelle Constitution aura été promulguée, politiques et organisations de défense des droits de l’homme concentreront à nouveau leurs efforts sur la justice internationale dans notre pays, une question cruciale.

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Prashannata Wasti, Senior Officer, INSEC Népal

Q. : Comment percevez-vous actuellement le rôle de la communauté internationale dans le soutien à la justice internationale au Népal ?
R : Nous sommes très reconnaissants envers la communauté internationale pour son aide afin de remédier à la situation d’urgence suite au tremblement de terre. Bien évidemment, les principales agences d’aide humanitaire se concentrent sur la reconstruction des infrastructures endommagées.  Le premier objectif consiste à normaliser le quotidien de la population. Après un tel événement dramatique, ayant causé la mort de plus de 8 000 personnes, blessé des milliers d’autres et laissant de nombreuses personnes sans abri, il est tout à fait compréhensible que des problèmes comme la justice n’occupent pas le centre de l’attention. Cependant, nous espérons que le Népal se redressera rapidement et que la justice internationale sera rapidement remise à l’ordre du jour.

Q. : Dans quelle mesure le tremblement de terre a-t-il un impact sur les victimes de violations des droits de l’homme commises pendant la guerre et l’accès à la justice ?
R : Certains des districts les plus touchés par la guerre, comme Gorkha, Kavre et Dhading, ont également été touchés par le tremblement de terre. Les victimes du conflit sont également des victimes du tremblement de terre. C’est arrivé il y a plus de deux mois, mais le pays est encore sous le choc. Toute l’attention est tournée vers le tremblement de terre, et ce à tous les niveaux. Par exemple, les défenseurs des droits de l’homme sont en train d’assurer et de surveiller la distribution de l’aide humanitaire, garantissant qu’elle soit effectuée dans le respect de certains principes comme la non-discrimination. Nous pourrions dire que même si les organisations de défense des droits de l’homme continuent de soulever la question de l’accès à la justice, elle ne constitue pas une priorité.

Q. : Depuis la Journée Mondiale des Droits de l’Homme (10 décembre 2014), des avancements majeurs ont-ils été enregistrés dans le domaine de la justice internationale au Népal ?
R : Oui, certains avancements ont été enregistrés. Une loi adoptée en 2014 (Loi relative à la création de la Commission pour la recherche des personnes disparues et de la vérité et la réconciliation) contenait la possibilité d’accorder une amnistie aux auteurs de crimes internationaux et de graves violations des droits de l’homme. Les victimes, et la population en général, craignaient que les auteurs échappent à un procès. Plus de 200 victimes décidèrent de déposer une requête devant la Cour suprême du Népal, remettant dès lors en question les pouvoirs discrétionnaires des deux Commissions responsables de traiter les crimes du passé : la Commission vérité et réconciliation et la Commission pour la recherche des personnes disparues.
Le 26 février 2015, la Cour suprême a réduit les pouvoirs discrétionnaires des deux Commissions à octroyer l’amnistie et a estimé que le consentement de la victime devait être obligatoire pour tout acte de réconciliation. Les victimes ont salué cette décision de la Cour et, depuis février, le gouvernement népalais a défini le cadre de ces deux commissions et nommé des commissaires.
Un autre développement positif concerne le Colonel Kumar Lama. Arrêté à Londres en 2013, cet officier haut placé de l’armée népalaise a été accusé de deux chefs de torture pendant la guerre civile de 2005. Son procès a débuté début 2015 au Royaume-Uni.

Le projet Intersections : convaincus que traiter les crimes du passé permet de construire l’avenir, ASF et ses partenaires, ASF-Canada and INSEC, soutiennent l’accès à la justice pénale internationale pour les personnes les plus vulnérables dans le respect des règles de droit et des standards internationaux. Le projet concerne 6 pays, répartis sur 3 continents, et vise tout particulièrement le renforcement des systèmes de justice dans les six pays en question. Découvrez les récits des personnes impliquées dans la justice internationale au Burundi, en Colombie, en République démocratique du Congo, au Guatemala, au Népal et en Ouganda. Lisez et regardez leur témoignage sur www.roadtojustice.eu.
Photo de couverture : Nepal © 2014 Universal TV Media

Les Népalaises en quête de leurs droits

Népal, le 23 avril 2014 – Quand un Népalais abandonne sa famille, il est courant que sa femme soit réduite à l’indigence. Les Népalaises se voient systématiquement dénier leurs droits, tout spécialement la propriété, l’héritage et la pension alimentaire. En association avec des barreaux locaux, Avocats Sans Frontières (ASF) joue un rôle crucial non seulement dans la sensibilisation des femmes à la loi afin qu’elles revendiquent leurs droits, mais aussi dans leur accompagnement tout au long des procédures judiciaires.   

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Malati Rajbanshi Lama – en compagnie de sa fille Jasmin Lama – présente son cas à un centre de consultations juridiques gratuites soutenu par ASF © ASF – N. de Oliveira

Dans la société népalaise, la femme, une fois mariée, est sommée de renoncer à sa propre famille au profit de celle de son mari. Elle dépend fortement de cette nouvelle famille, qui devient l’unique source de ses moyens d’existence, de sa sécurité économique et de son statut social.

Malati Rajbanshi Lama (voir photo) vit dans un village isolé, situé à une centaine de kilomètres de la capitale, Katmandou. « Après le départ de mon mari, je n’ai jamais eu le moindre soutien financier de sa part, ni pour moi ni pour mes enfants. Mes beaux-parents refusent de reconnaître mon mariage et m’interdisent l’accès à ma maison », raconte-t-elle. « Mes enfants allaient jadis à l’école, mais ce n’est plus possible à cause du coût trop important de l’enseignement. »

Grâce à l’intervention d’un barreau local soutenu par ASF, Malati a pris conscience de ses droits et des procédures judiciaires. Dans le centre de consultations juridiques gratuites le plus proche, elle a bénéficié des conseils d’un avocat et s’est sentie habilitée à porter l’affaire devant le tribunal local.

À présent, Malati vit avec ses trois enfants dans une maison d’accueil publique et touche un revenu quotidien tout juste suffisant pour l’entretien de sa famille. Les enjeux de son procès sont la division de propriété, la pension alimentaire et la reconnaissance du statut matrimonial, ce dernier constituant, au Népal, un élément important pour l’enregistrement et les droits de citoyenneté, autant pour elle que pour ses enfants. Elle attend à présent la décision du tribunal qui devrait améliorer ses conditions de vie : « Nous attendons une décision dans les cinq prochains mois. C’est long, mais mes avocats sont confiants. »

Les activités de sensibilisation juridique d’ASF, tels des centres de consultations juridiques itinérants dans les districts et des programmes radio de sensibilisation, visent à fournir des informations sur la loi et les services juridiques auprès des personnes en difficulté, comme Malati.

ASF vise également à augmenter la demande de services juridiques offerts par les barreaux de districts, ainsi qu’à renforcer les moyens des barreaux et des avocats individuels pour l’assistance aux personnes vulnérables et marginalisées.

Les programmes de sensibilisation juridique mis en œuvre par l’intermédiaire de la radio, des écoles et des centres itinérants ont permis d’atteindre plus d’un million de personnes dans cinq districts du pays. 1.277 personnes ont bénéficié directement d’une consultation juridique, d’une assistance juridique et, dans la mesure du possible, d’une représentation en justice.

ASF a travaillé en étroite collaboration avec le Barreau népalais, ainsi qu’avec deux autres organisations (*). Le projet est financé par le Ministère belge des Affaires étrangères.

(*) Le PPR (Forum for Protection of People’s Right) et le LACC (Legal Aid & Consultancy Center)

Photo principale: Malati Rajbanshi Lama © ASF – N. de Oliveira

Radio Justice

Katmandou, le 27 novembre 2013 – Comment assurer que les citoyens connaissent leurs droits, quand une grande partie de la population est illettrée, pauvre et vit dans des régions rurales reculées ? Au Népal, la radio communautaire est le moyen idéal pour sensibiliser et informer les habitants. ASF y diffuse des jingles et des émissions-débats sur les droits en matière d’égalité des sexes, les droits des enfants ou encore la législation anti-discrimination. L’occasion de recueillir des témoignages bouleversants.

Les nombreuses lois promulguées au Népal pour tenter de combattre l’exclusion sociale et économique et la discrimination des groupes marginalisés, sont jusqu’ici suivies de peu d’effets. 30 % de la population est illettrée et vit dans l’extrême pauvreté, tandis que quatre habitants sur cinq vivent dans des zones rurales reculées. Dès lors, la plupart des habitants n’ont pas la possibilité de participer à la transformation politique du pays ou d’avoir accès à la justice pour régler leurs problèmes.

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L’avocat Hari Prasad Adhikari anime deux fois par mois un programme sur Radio Jockey © ASF

En étroite collaboration avec le Barreau du Népal et les barreaux de cinq districts*, ASF diffuse des jingles et des émissions-débats à la radio afin de sensibiliser les habitants aux questions juridiques et de leur transmettre des informations. « La radio communautaire est le moyen de communication auquel les gens font le plus confiance », explique Biswo Jit Khadka, chargé de programme ASF à Katmandou. « Nous l’utilisons pour informer les habitants sur les centres et les services d’aide juridique disponibles dans les districts. Ils peuvent également nous appeler pour parler de leur situation personnelle. D’après nos estimations, nos émissions sont suivies par 30.000 personnes dans chaque district ». Depuis juillet 2011, sur les 1.277 dossiers enregistrés dans les centres d’aide juridique gérés par le barreau du Népal et ASF, 300 ont été introduits suite aux programmes de sensibilisation diffusés à la radio.

Maître Hari Prasad Adhikari, avocat du district de Kaski, anime deux fois par mois un programme de débats sur Radio Jockey : « L’émission fait office de plate-forme pour les avocats, les acteurs de la justice et le public : elle leur permet de discuter de leurs expériences en matière d’accès à la justice. Les personnes nous appellent depuis leurs villages et nous traitons leurs questions sur antenne. Nous recueillons ainsi des témoignages bouleversants de personnes vivant des souffrances quotidiennes, victimes par exemple de violence domestique, de discrimination à cause de leur caste, ou de violations de leurs droits fondamentaux. Nous mettons toutes nos ressources en œuvre pour trouver une solution à leurs problèmes. En discutant à la radio des problèmes légaux de l’un de nos auditeurs vivant dans un village reculé, nous aidons également tous les autres auditeurs qui rencontrent les mêmes problèmes. »

La législation népalaise est parfois ambigüe et difficile à comprendre pour les personnes non habituées au jargon juridique. « Dans ces cas-là aussi, la radio communautaire est un outil déterminant pour encourager les habitants à discuter des lois et des évolutions législatives qui influencent leur existence et celle de leur communauté », conclut Biswo Jit Khadka.

* il s’agit des districts de Kanchanpur, Kaski, Makwanpur, Morang et Rupandehi

Les projets d’ASF au Népal bénéficient du soutien financier des gouvernements belge et anglais.

Photo de couverture: Des villageois du district de Kaski (dans le centre du Népal) en plein écoute du programme radio d’ASF © ASF.

Des avocates népalaises améliorent leurs connaissances en techniques médico-légales

Katmandou – Pour les tribunaux traitant d’affaires criminelles, les éléments médico-légaux tels que le profilage de l’ADN, les rapports d’autopsie et les empreintes digitales sont des preuves de première main. Les avocats doivent donc être en mesure de comprendre ces sujets techniques qui peuvent jouer un rôle crucial dans la prise de décision. Une formation organisée par Avocats Sans Frontières (ASF), en collaboration avec l’Association du Barreau du Népal et le Comité des Avocates du Barreau de la Cour suprême du Népal, soutient les avocates dans  leur pratique, en particulier dans les cas de violation des droits des femmes.

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La terminologie et la pratique médico-légales doivent être comprises par les avocats – Formation ASF, Katmandou, août 2013 © ASF

Avocats et juges ne comprennent pas toujours la terminologie médico-légale, les rapports d’experts et d’autres actions médico-légales utilisées par médecins et experts dans les affaires et les procès. Pourtant, ces questions peuvent être déterminantes pour trancher dans une affaire. « La preuve scientifique est importante dans les enquêtes criminelles. Prouver ou réfuter les accusations portées contre une personne, grâce à l’ADN par exemple, peut aider à identifier des suspects potentiels », explique Maître Biswo Jit Khadka, Chargé de programme d’ASF à Katmandou. « Dans certains cas, seule la preuve scientifique peut révéler la vérité. C’est pourquoi les différentes parties prenantes – y compris les avocats – doivent être capables de comprendre ce type de preuve ».

La mission d’ASF au Népal est d’améliorer l’accès à la justice pour les personnes en situation de vulnérabilité, le renforcement des capacités des prestataires de services juridiques tels que les avocats, et des services d’aide juridiques efficaces et de qualité. Au Népal, il est particulièrement difficile pour les avocates d’obtenir des formations sur les terminologies et pratiques médico-légales, notamment en raison du népotisme et du favoritisme, mais aussi de la discrimination liée au sexe dans la sélection des participants. « Pourtant, les avocates ont besoin d’avoir  une bonne connaissance en la matière, en particulier parce qu’elles traitent souvent de cas de violations des droits des femmes tels que le harcèlement sexuel, la chasse aux sorcières, les violences domestiques, l’homicide, le suicide, le viol et d’autres formes de violence et de discrimination contre les femmes », souligne Sunil Kumar Pokharel, avocat, Secrétaire générale de l’Association du Barreau du Népal.

C’est pourquoi, fin août, ASF – en collaboration avec l’Association du barreau du Népal et le Comité des Femmes Avocates du Barreau de la Cour Suprême – a organisé, à Katmandou, une journée de formation sur ​​le rôle du médico-légal dans l’efficacité de l’aide juridique pour des avocates praticiennes. Quelques 50 avocates représentant différents Barreaux du pays ont participé à cette formation donnée par d’importants experts médico-légaux et des médecins légistes.

« Cette formation a été très utile pour moi car je défends les droits des femmes. Actuellement, je traite un cas de viol et j’ai besoin de comprendre comment je peux mieux utiliser la collecte de preuves et les résultats afin de renforcer mes arguments juridiques », témoigne l’avocate Radha Sigdel, membre du Barreau du district de Katmandou.

«En améliorant leurs connaissances en sciences médico-légales, nous cherchons à soutenir ces avocates dans leur travail de défense et de protection des femmes et de leurs droits », conclut Biswo Jit Khadka, Chargé de programme d’ASF.

Photo de couverture: Ces femmes avocates pourront améliorer leur pratique dans les cas de violations des droits des femmes, Katmandou, août 2013 © ASF

International Criminal Court (ICC) and Its Application In Nepal

Les avocats népalais se mobilisent contre la traite des êtres humains

Makawanpur, Népal, le 3 juin 2013 – Améliorer l’accès à la justice est crucial pour lutter contre l’impunité du trafic d’êtres humains au Népal. En collaboration avec le barreau du district et avec une ONG  partenaire, le Forum pour la Protection des Droits des Peuples (Forum for Protection of People’s Rights – PPR), Avocats Sans Frontières (ASF) organise des boutiques de droit itinérantes pour pallier à ce phénomène répandu. Grâce à ces centres de consultations juridiques itinérants, les communautés sont sensibilisées à leurs droits et reçoivent des conseils professionnels lorsqu’ils sont confrontés à des problèmes d’ordre juridique.

Ces dernières années, la traite des êtres humains est devenue un problème de plus en plus inquiétant au Népal. Hommes, femmes et enfants courent le risque d’être enlevés, transportés, et exploités ou vendus sous la contrainte.

« Le trafic est principalement axé sur la transplantation d’organes, le mariage, la prostitution et la servitude domestique, pour la plupart à l’étranger. L’Inde, la Corée, Hong Kong (*), le Tibet (**) et les pays du Golfe représentent les principales destinations », explique M. Mukunda Adhikari, le coordinateur PPR du district. On estime qu’environ 11.500 personnes ont été ou ont failli être victimes de la traite d’êtres humains en 2011, un nombre deux fois plus élevé qu’en 2010. Chaque année, de 5.000 à 7.000 femmes et filles sont enlevées et envoyées en Inde à des fins d’exploitation sexuelle.

Face à ce problème, le barreau du district de Makawanpur, PDP et ASF ont décidé d’organiser des boutiques de droits itinérantes spécialisées dans la lutte contre la traite des êtres humains.

Trafic d'êtres humains au Népal - boutique de droitLes boutiques de droit ont lieu une fois par mois dans trois municipalités et ciblent les représentants de la police, les groupes de femmes, les organisations communautaires et les avocats, ainsi que les populations touchées. Elles sont menées par deux avocats du barreau du district. Pendant la première partie consacrée à la prise de conscience et à la sensibilisation, ils clarifient les problèmes juridiques applicables au contexte local ou soulevés par les participants, comme la traite d’êtres humains, les droits fondamentaux et les droits des femmes. Ensuite, ils apportent des conseils juridiques, par exemple sur la procédure permettant de déposer plainte dans le cas d’un incident lié à la traite des êtres humains. Si certaines personnes ont besoin d’une représentation en justice, elles sont dirigées vers le barreau du district, où elles obtiendront gratuitement une aide juridique.

Récemment, à Hativa, cette initiative a reçu le soutien d’un juge de district, M. Tek Narayan Kunwar, qui a participé et interagi avec les personnes présentes. « Les difficultés dans la lutte contre la traite des êtres humains sont variées », se désole-t-il. « Les causes sous-jacentes varient d’une victime à l’autre ; elles vont de la pauvreté et du chômage à la discrimination et l’impunité. Cette complexité rend d’autant plus difficile la lutte contre ce fléau. »

M. Gopi Parajuli, Chef de mission d’ASF au Népal : « Grâce au soutien que nous apportons à ces boutiques de droit, nous contribuons à l’amélioration de l’accès à la justice et à la lutte contre l’impunité au Népal. »

(*) (**) respectivement région administrative spéciale et région autonome de Chine 

Le juge de district participe à la session  © ASF

Le juge de district participe à la session © ASF

Cover picture © Kate Holt/IRIN

Preparing to implement the Rome statute in Nepal

Lutte contre la torture: Attention aux «fausses victoires»

Bruxelles/Bukavu/Kathmandou, 26 juin 2012 – A l’occasion de la Journée Internationale de lutte contre la Torture, ce 26 juin, Avocats Sans Frontières (ASF) rappelle la nécessité de lutter contre l’impunité des tortionnaires. ASF attire l’attention sur deux « fausses victoires » juridiques: une définition (trop) large de la notion de tortionnaire, et l’effet dissuasif que peut avoir l’indemnisation des victimes sur les poursuites en justice.

Au terme de la Convention des Nations Unies contre la torture de 1984, la torture désigne tout acte par lequel un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel inflige intentionnellement une douleur ou des souffrances aigues à une personne. Cette violence doit être exercée afin notamment d’obtenir des renseignements ou des aveux, de punir la personne d’un acte qu’elle est soupçonnée d’avoir commis, ou de l’intimider. « En fait, l’Etat est considéré comme responsable de cette violence exercée en son nom », explique Jean-Charles Paras, expert Droits civils et politiques d’ASF.

Certes, des progrès ont été accomplis dans un certain nombre de pays. La torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants sont interdits par des lois qui criminalisent ces pratiques. Cependant, une définition large de l’auteur de la torture ne favorise pas forcément les poursuites contre les véritables « tortionnaires étatiques ».  C’est le cas en Ouganda qui vient d’adopter une loi qui définit la torture en droit interne mais qui s’applique à tout individu et non pas uniquement aux agents de l’Etat. « Le risque est alors grand que l’Etat ne poursuive que les personnes privées pour montrer qu’il est pro actif dans la lutte contre la torture mais empêche de poursuivre ses propres policiers ou militaires», prévient Jean-Charles Paras.

En République Démocratique du Congo, ASF constate le même phénomène. « Avant l’adoption de la Loi sur la torture en 2011, c’était difficile de convaincre les juges de poursuivre les tortionnaires », rappelle Maître Sylvestre Biswima, avocat collaborant d’ASF à Bukavu. Mais aujourd’hui encore, il y a une certaine tolérance de la part de l’appareil judiciaire face aux pratiques de torture et les affaires condamnant des agents de l’Etat sont encore trop rares. « Certains procès tirent en longueur. Je suis par exemple un procès de torture depuis trois ans et le prévenu – un agent de sécurité –  n’a pas comparu une seule fois aux audiences !», témoigne l’avocat.

Copyrights ASF / Myriam Khaldi

L’indemnisation, une tentation pour les victimes

Une seconde « victoire » qui préoccupe ASF dans sa lutte contre la torture est  l’indemnisation des victimes lorsque celle-ci s’organise pour les dissuader à poursuivre les criminels en justice.

Ainsi, le Népal a adopté en 1996 une loi qui permet aux victimes de bénéficier d’indemnités versées par l’Etat si elles peuvent prouver l’acte dont elles ont été victimes. Cette loi ne vise toutefois pas à poursuivre pénalement les criminels qui en sont responsables. « Concrètement, cette loi n’a pas permis d’indemniser que quelques dizaines de personnes alors qu’il y a eu des milliers de victimes de la torture pendant et après le conflit », précise Jean-Charles Paras. Les victimes sont tentées de recourir à cette législation pour obtenir une réparation financière. Le plus souvent indigentes, celles-ci ne croient pas que l’Etat poursuivra les tortionnaires et renoncent donc à déposer plainte. Cette loi ne change donc rien à la pratique des policiers et des militaires qui profitent toujours d’un climat d’impunité.

En attendant l’adoption de cette loi de criminalisation, ASF, avec plusieurs ONG népalaises, conduit une action de plaidoyer et de renforcement des capacités des avocats pour lutter contre la torture. « Cette action nous aide à être plus efficaces, utilisant au mieux le système et la législation existante afin de porter des cas de torture à l’attention de la police et des juges », estime Rajendar Ghimire, avocat des droits de l’Homme à Katmandou. « Nous espérons ainsi mieux protéger, défendre et restaurer les droits des victimes ».

La torture est aujourd’hui reconnue comme un des pires crimes internationaux. On doit bien sûr louer les efforts accomplis et les réalisations obtenues telles que l’adoption dans certains pays de lois de criminalisation en droit interne et d’indemnisation des victimes. Mais rien ne changera durablement si l’impunité du tortionnaire demeure la règle. « Il faut rester très vigilant face à de “fausses victoires” que sont les dispositifs pris par les Etats pour cacher la réalité de la torture qui est avant tout un “crime d’Etat” , » conclut Jean-Charles Paras.

Evaluation of knowledge and expertise in international criminal justice in Nepal (Jan. 2012)

Tous les moyens sont bons pour informer la population de ses droits

Mahendra Nagar, 6 février 2012 – Ce matin, l’extrême Ouest du Népal connaît un froid glacial. Gopi Parajuli (ASF) et Anita Neupane (Legal Aid and Consultancy Centre) se frayent un chemin indécis sur le parking des bus. Comme souvent au Népal, un passant leur vient spontanément en aide : « Vous cherchez le bus des avocats ?  Le voici ! » Et de désigner un petit véhicule arborant un message peint sur la carrosserie. C’est un micro-bus, de ceux qu’empruntent quotidiennement par des milliers de citoyens pour se rendre au travail. Le message peint sur le flanc énonce : « Vos moyens financiers ne vous permettent pas d’accéder à la justice ? Contactez le Barreau du district de Kanchanpur ».

Kanchanpur est une région retirée avec un taux élevé de pauvreté, surtout parmi les femmes. Une frange significative de la population appartient au groupe Dalit, l’échelon le plus bas de la hiérarchie sociale. Les violations des droits de l’homme y sont fréquentes ; la violence domestique, la discrimination et les abus perpétrés par les autorités locales répandus.

ASF aide les barreaux de Kanchanpur et de 4 autres régions à mettre en place un système d’aide juridique gratuite pour la population. Les avocats locaux sont très engagés dans l’amélioration de l’accès à la justice mais, d’après les informations récoltées récemment par ASF, les personnes concernées ignorent souvent l’existence de pareils services gratuits : il faut donc en priorité les en informer.

« C’est pourquoi », explique Julie Fournier, Chef de mission d’ASF au Népal, « nous utilisons depuis décembre 2011 de nouvelles méthodes pour informer la population sur ses droits et la manière dont elle peut aller en justice : programmes radio, annonces peintes sur les micro-bus, ou encore messages diffusés lors des marchés hebdomadaires par des micros installés sur des rickshaws ».

Gopi et Anita se réjouissent : le nouveau bus peint aux couleurs de la justice fait son effet et semble déjà familier aux navetteurs. L’équipe peut dès à présent réfléchir à de nouvelles idées originales pour communiquer le message d’ASF et de ses partenaires.

A villager reading the message “Are you legally vulnerable because of your economic situation? Please contact the Kanchanpur District Bar Association” © ASF - J. Fournier
Un villageois lisant l’inscription « Vos moyens financiers ne vous permettent pas d’accéder à la justice? Contactez le Barreau du district de Kanchanpur ». © ASF – J. Fournier

Plus d’informations sur la mission d’ASF au Népal