Le rapport annuel d’ASF est disponible !

L’équipe d’Avocats Sans Frontières est ravie de pouvoir vous présenter son dernier rapport annuel.

Que de chemin parcouru depuis la création d’ASF en 1992 par des avocat.e.s belges. Durant ces 30 années, ce sont des centaines de personnes qui ont contribué à faire évoluer l’organisation pour qu’elle devienne ce qu’elle est aujourd’hui : une organisation militante active dans une dizaine de pays qui œuvre pour la promotion de l’accès à la justice et d’un État de droit fondé sur les droits humains en étroite collaboration avec des acteur.rice.s locaux.les.

Ces trente années d’action, les ancrages locaux que nous avons développés et les liens que nous avons tissés avec des défenseur.e.s des droits humains des quatre coins du monde nous donnent beaucoup de force et de confiance pour envisager l’avenir et poursuivre le déploiement d’une action impactante au service des populations en situation de vulnérabilité (femmes, enfants, communauté LGBTQI+, minorités ethniques, personnes en situation de détention, personnes en situation de migration, etc.).

Mais les défis sont nombreux. Partout à travers le monde, les organisations de la société civile et les défenseur.e.s des droits humains font face à des évolutions et des tendances inquiétantes : montée des autoritarismes, rétrécissement de l’espace civique, défiance croissante des populations envers les institutions, tensions sociales exacerbées, etc.

Les défenseur.e.s des droits humains et de l’accès à la justice doivent travailler dans des contextes qui leur sont de plus en plus hostiles. Les notions mêmes de droits humains et d’État de droit sont remises en question. Les activistes, les avocat.e.s et les journalistes qui œuvrent pour la défense des droits fondamentaux des populations en situation de vulnérabilité sont de plus en plus systématiquement visés par des politiques répressives illibérales.

Chaque page de ce rapport témoigne de la vigueur de la flamme qui anime celles et ceux qui s’engagent pour maintenir les droits humains au cœur même de nos sociétés, au risque et au péril de leur propre liberté. Ce rapport est un hommage à chacune et chacun d’eux.elles.

ExPEERience Talk #9 – Le numérique au service des victimes et de la justice : le projet Back-up de We are NOT Weapons of War

  • Quand ? Jeudi 4 mai à 13h (Bruxelles)
  • En ligne (Big blue Button)
  • Langue de la présentation : Français

ExPEERience Talk #9 – Le numérique au service des victimes et de la justice : le projet Back-up de l’organisation We are NOT Weapons Of War, présenté par Céline Bardet

Pour ce 9ème ExPEERience Talk, nous sommes ravi.e.s de recevoir Céline Bardet, fondatrice de l’organisation We are NOT Weapons of War (WWOW) qui a pour mandat de lutter contre les violences sexuelles dans les conflits, notamment contre le viol comme arme de guerre. Elle reviendra sur l’importance, face à ces enjeux, de l’accompagnement – notamment juridique – des victimes, mais aussi de la sensibilisation et du plaidoyer à l’échelle mondiale.

Lors de ce Talk, Céline Bardet présentera le processus de développement du projet Back Up, lancé par WWOW en 2018. Ce projet vise à répondre aux trois défis majeurs posés par le viol de guerre : l’impossibilité pour les victimes d’accéder aux services adaptés ; le manque de coordination des professionnel.le.s impliqué.e.s ; et le manque de données fiables sur l’ampleur des violences sexuelles en conflit. Il s’agit d’un outil numérique, accessible sur mobile, crypté et sécurisé, qui permet aux victimes de se signaler et de transmettre les preuves, et aux professionnel.le.s impliqué.e.s, de mieux se coordonner. Après une première phase pilote, Back Up est à présent en cours de déploiement dans plusieurs pays, notamment en Ukraine et en République démocratique du Congo.

Ce Talk sera l’occasion de présenter la genèse du projet, ainsi que le développement et le fonctionnement de l’outil. Quel a été le processus permettant d’en faire un outil répondant au mieux aux besoins réels des victimes, facilement utilisable par tou.te.s, même dans les contextes les plus fragiles ? Comment assurer la sécurité des données collectées, et des victimes qui se signalent ? Quelle est la démarche d’appropriation de l’outil, dans les contextes de guerre, par les partenaires locaux.les et les victimes ? Céline Bardet reviendra notamment sur la méthodologie de développement et la portée de ce projet numérique au service, non seulement, des victimes mais aussi de la collecte de preuves et de données et, in fine, du plaidoyer contre les violences sexuelles dans les conflits.

Procès de Thomas Kwoyelo : Le parquet conclut la présentation de ses témoins

« Tout retard supplémentaire dans ce procès est une tache sombre pour notre système judiciaire » – ICD

Le procès de Thomas Kwoyelo a repris le 17 avril 2023 et devrait se poursuivre jusqu’à la fin du mois devant la Division des crimes internationaux de la Haute Cour (International Crimes Division of the High Court (ICD)) siégeant à la Haute Cour de Gulu dans la ville de Gulu, dans le nord de l’Ouganda.

Après l’ouverture du procès le 24 septembre 2018, le tribunal a entendu les premier.ère.s témoins de l’accusation en mars 2019 et, depuis lors, des sessions de procès ont eu lieu périodiquement entre Kampala et Gulu. La plus récente a eu lieu à Gulu entre le 28 novembre et le 15 décembre 2022, où 14 témoins à charge ont été préparé.e.s et présenté.e.s pour participer à la présentation des fondements de l’accusation contre Thomas Kwoyelo, ce qui porte le nombre total de témoins à charge à 48 jusqu’à présent.

Lors d’un entretien avec un membre de l’équipe de l’accusation, celui-ci a confirmé que l’affaire comptait près de 120 témoins, mais que tou.te.s ne seraient pas présenté.e.s, afin d’éviter la répétition des preuves et l’allongement du procès.

« Nous examinons les éléments de preuve disponibles et choisissons les meilleurs d’entre eux. Certain.e.s témoins vieillissent et perdent la mémoire, tandis que d’autres sont décédé.e.s. Nous sélectionnons ceux.elles dont les témoignages seront les plus pertinents et apporteront le plus au débat. »

Counsel Charles Kamuli – Membre du Ministère public

La société civile espère que le parquet sera en mesure de clôturer la présentation de ses témoins au cours des deux prochaines semaines. Cela permettra à l’équipe de la défense de commencer à présenter ses propres témoins lors des prochaines sessions, plus tard dans le trimestre, en fonction de la disponibilité des fonds. Plus tard, il y aura une session pour les victimes au cours de laquelle les avocat.e.s des victimes présenteront leurs propres témoins.

Thomas Kwoyelo, capturé en 2009 par les Forces de défense du peuple ougandais (Uganda People’s Defense Forces), est sans doute l’un des accusés dont la détention provisoire est la plus longue de l’histoire de la justice pénale internationale. Pour s’assurer que le procès suive son cours, la Division des crimes internationaux de la Haute Cour avait fixé un calendrier avec des sessions planifiées tous les trois mois, mais il y a eu un manque de régularité dans la pratique. Toutefois, la Cour pense pouvoir conclure le procès dans un délai d’un an et demi, à condition que les fonds continuent d’être débloqués tous les trimestres comme prévu. « Ce retard est un point noir pour le pouvoir judiciaire en ce qui concerne la justice », a déclaré le chef de l’ICD, qui est également juge suppléant dans cette affaire. « Les victimes sont très inquiètes, tout comme l’accusé, qui n’est pas jugé comme il le devrait, puisqu’il est incarcéré depuis 2009. Maintenant que le gouvernement a engagé des ressources, nous sommes tous déterminés à faire avancer l’affaire », a fait remarquer le chef de l’ICD.

Cependant, l’équipe de la défense ne partage pas cette perspective concernant les délais dans lesquels le procès pourrait se conclure.

« Étant donné le caractère unique de l’affaire, un témoin a besoin de beaucoup de temps pour raconter son histoire et partager son récit, vous ne pouvez pas dire quelle est la longueur de cette histoire, ils ont besoin de temps. Il faut du temps pour demander à un témoin de se souvenir d’une épreuve douloureuse qui s’est déroulée il y a 20 ans, ce qui conduit souvent à un effondrement psychologique au cours du processus de réflexion. Dans de telles situations, le tribunal ne peut pas poursuivre, il doit être ajourné pour donner au témoin le temps de se calmer et de se ressaisir ».

Maître Evans Ochieng, Avocat de la défense

Le procès se déroule à un rythme très lent en raison de l’insuffisance des ressources financières requises pour un procès impliquant autant de parties. Le procès compte quatre juges, quatre procureur.e.s, quatre avocat.e.s de la défense, deux avocats des victimes et une énorme équipe de personnel judiciaire, notamment l’équipe informatique qui met en place les liaisons vidéo, les assesseur.e.s, l’équipe d’interprétation, les greffier.ère.s, les rapporteur.rice.s, l’équipe de documentation, l’équipe des médias, etc.

« Il est difficile de prévoir quand l’affaire se terminera, surtout dans des situations comme la nôtre, où l’on a de l’argent ce trimestre et où l’on n’est pas sûr d’avoir de l’argent le trimestre suivant. »

Maître Evans Ochieng, Avocat de la défense

En vertu du principe de complémentarité positive, les institutions nationales telles que la Division des crimes internationaux de la Haute Cour en Ouganda devraient disposer des capacités nécessaires pour mener de manière efficace et efficiente les enquêtes et les poursuites relatives aux crimes internationaux en vertu du Statut de Rome. À cette fin, ASF a apporté son soutien à l’ICD pour développer et faire évoluer ses capacités. Par exemple, en fournissant un soutien technique pour le développement des règles de procédure et de preuve de l’ICD et des lignes directrices sur la gestion du registre. ASF s’est également engagée dans le renforcement des capacités de la Cour, en apportant un soutien aux avocat.e.s des victimes et en renforçant de manière générale la participation des victimes. Pour assurer la durabilité de ces efforts, ASF, avec son partenaire ICTJ, a entrepris une étude qui a conduit à l’élaboration d’un livre de référence judiciaire, qui fait autorité en matière de pratique et de procédure pour les poursuites pénales des crimes internationaux. Le soutien d’ASF a, à bien des égards, aidé cette institution relativement jeune qu’est la Haute Cour à fonctionner conformément aux normes internationales requises, renforçant ainsi sa capacité à remplir son mandat ainsi que sa crédibilité et sa reconnaissance internationales.

La stratégie d’ASF en matière de justice transitionnelle met les victimes au centre des processus de justice, c’est ce qui dirige toutes nos interventions. En collaboration avec des organisations locales telles que la Foundation for Justice and Development Initiative (FJDI), Gulu Women Economic Development and Globalization (GWED-G), et le Conseils des Victimes, nous avons mené des actions de sensibilisation où les informations concernant le procès ont été diffusées et où nous avons recueilli le ressenti de la population sur l’organisation de celui-ci. Des émissions de radio sont également été organisées, au cours desquelles des fonctionnaires de la Cour et d’autres parties prenantes discutent des enjeux importants liés au procès et durant lesquelles les membres des communautés victimes peuvent appeler et s’exprimer sur l’avancée du procès et sur les prochaines étapes du processus. Cela permet de s’assurer que les victimes puissent bénéficier d’un niveau d’information satisfaisant sur les procédures si elles le souhaitent, mais aussi que leurs points de vue soient relayés pour informer les fonctionnaires de la cour de ce qu’elles pensent et perçoivent de l’ensemble du processus.

ASF salue l’adoption par le gouvernement ougandais de la Politique nationale de justice transitionnelle (National Transitional Justice Policy), un cadre global et essentiel conçu pour traiter les violations des droits humains commises dans le passé afin de promouvoir la justice, la responsabilité et la réconciliation, qui sont des piliers essentiels à l’instauration d’une paix durable. Cependant, il est nécessaire d’accélérer la promulgation des instruments législatifs pour rendre cette politique opérationnelle et garantir que les victimes obtiennent justice.

Les victimes se retrouvent toujours confrontées à des problèmes qui mettent leur vie en danger et qui requièrent une attention urgente et immédiate. Par exemple, certaines victimes ont subi des blessures par balle, ce qui nécessite des opérations chirurgicales et des processus de réhabilitation importants. D’autres victimes de violences sexuelles ont besoin d’un soutien médical pour traiter leurs problèmes de reproduction et d’autres conséquences durables de la violence, ainsi que d’un soutien psychosocial pour gérer leurs traumatismes.

L’intégration sociale et familiale des enfants nés en captivité et la réintégration de leurs mères, qui souffrent de stigmatisation au sein des communautés, posent également problème. À tel point que les victimes et leurs enfants ont parfois été contraint.e.s de quitter leurs communautés et d’essayer de s’installer dans les centres urbains et les villes. Face à cette stigmatisation et à des conditions de vie difficiles, certain.e.s survivant.e.s se sont suicidé.e.s ou ont nourri des pensées suicidaires.

En l’absence de toute aide provisoire pour remédier aux effets à long terme de la violence et des violations des droits humains qu’elles ont subies, les victimes craignent que, lorsque la justice sera rendue avec retard, nombre d’entre elles seront déjà mortes et que la justice n’atteindra donc pas l’objectif qu’elle s’était fixé.

Ce Policy Brief a été rédigé par Jimmy Wamimbi, d’ASF Ouganda, avec l’aide précieuse de Faridah Kyomuhangi, Simon Mallet, Irene Winnie Anying et Valérie Arnould.

Les réparations pour les victimes de crimes internationaux en République Démocratique du Congo, un enjeu majeur dans la lutte contre l’impunité

ASF est active dans la lutte contre l’impunité et la justice internationale depuis presque 15 ans en République démocratique du Congo (RDC). Durant cette période, l’organisation a été témoin de nombreux progrès en la matière mais déplore que les dispositifs déployés ne soient toujours pas à la hauteur des enjeux.

Car, alors que les conflits persistent, que la demande de justice des citoyen.ne.s demeure pressante et que les procès et les condamnations s’enchaînent, les victimes peinent toujours à recevoir les réparations qui leur sont accordées par les cours et tribunaux. Économiques ou d’autre nature, ces réparations sont pourtant jugées fondamentales à la réalisation d’un réel processus de réconciliation en RDC. À ce jour, malgré une somme de presque 28 millions USD accordée à plus de 3.300 victimes, seule une décision de réparation a partiellement été exécutée.

En plus de ce constat, déjà accablant, la forme des réparations ordonnées posent deux problèmes majeurs. Tout d’abord, celles-ci ne peuvent être allouées que sur décision judiciaire, limitant l’accès à la justice de nombreuses victimes. Et, deuxièmement, le droit congolais ne permet que d’allouer des réparations pécuniaires et individuelles.

La nature des crimes commis, des préjudices causés et leur impact sur de larges portions de la population requièrent une réponse adaptée. ASF considère que le dispositif juridique congolais ne permet pas en l’état de satisfaire les exigences liées à ces procès pour crimes internationaux. Le droit pénal international prévoit par exemple la possibilité d’attribuer des réparations collectives et non pécuniaires, des dispositions qui n’ont toujours pas été intégrées dans la législation nationale.

Ces enjeux, ASF les défend aujourd’hui à travers le projet « Poursuivre la lutte contre l’impunité des crimes graves commis en RDC », financé par l’Union européenne, et mené en partenariat avec RCN Justice et Démocratie et Trial International.

La stratégie d’ASF et ses partenaires s’articule autour de 4 axes : l’accès à la justice des victimes, le renforcement de capacité des acteur.rice.s de terrain, un travail de sensibilisation et un travail de plaidoyer.

Grâce à la collaboration d’ASF et de ses partenaires avec les avocat.e.s des barreaux du Nord Kivu, de l’Ituri et du Maniema, plus de 500 victimes de crimes internationaux ont pu bénéficier d’un accompagnement juridique en 2020. Pour s’assurer que ces personnes bénéficient des meilleurs services possibles, ASF et ses partenaires ont organisé des formations sur la thématique des réparations et de leur exécution à l’attention d’avocat.e.s, ainsi que des formations à la collecte de données en matière de crimes internationaux à l’attention d’organisations de la société civile.

Enfin, en parallèle d’un travail de sensibilisation effectué auprès de victimes de crimes internationaux, ASF a effectué en 2020 un travail de plaidoyer pour condamner la non-exécution des jugements en faveur des victimes de la part de l’État congolais. Selon ASF, il faut de toute urgence revoir en profondeur la place accordée aux victimes et aux réparations dans les nombreux procès de justice internationale qui se tiennent en RDC. Car, si ces enjeux ne sont pas rencontrés, c’est tout le processus de justice transitionnelle entamé dans le pays qui est en péril. Sa réussite est pourtant fondamentale pour permettre à la population de retrouver la confiance en ses institutions et d’envisager une réelle réconciliation au niveau nationale.

Tueries de Djugu : Évolution significative de la jurisprudence congolaise en matière de réparations sur fond de lourdes peines pour les prévenus

Le procès Djugu 2 est arrivé à son terme le 1er avril 2021. Il s’est conclu par une décision de condamnation de 21 prévenus à la peine de servitude pénale principale à perpétuité pour crime contre l’humanité par meurtre, incendie, destruction, pillages et persécution, et par une décision d’acquittement au profit de 11 autres prévenu.e.s. Les 219 parties civiles se sont en outre vu octroyer la plupart de leurs demandes de réparations, tant individuelles que collectives, y compris des mesures de réhabilitation, rompant ainsi avec la pratique d’octroi de seuls dommages et intérêts.

Des restitutions ont également été ordonnées au titre de réparations individuelles. Parmi les mesures de réparations collectives, le Tribunal Militaire de Garnison de l’Ituri a condamné la RDC à ériger un centre de santé dans chaque village pour la prise en charge médicale et psychologique des victimes ; prendre des mesures pour la recherche des cadavres non retrouvés et offrir aux victimes des moyens pour l’organisation de deuil ; ériger un monument dans chaque village ayant fait l’objet d’une attaque ; prendre des mesures idoines pour mettre fin aux activités du groupe armé CODECO. Il s’agit d’une conciliation particulièrement pertinente des différentes mesures de réparation envisagées par le droit international, à savoir l’indemnisation, la restitution, la réhabilitation, la satisfaction et les garanties de non-répétition.

Ce verdict constitue une étape importante dans la lutte contre l’impunité en Ituri, une région qui est le théâtre d’importantes tensions intercommunautaires et ethniques. Ce procès concerne plus particulièrement les crimes commis par le groupe armé « Coopérative pour le Développement du Congo » (CODECO) contre la communauté Hema sur le territoire de Djugu, entre décembre 2017 et mars 2020. Il y a lieu de rappeler que la CODECO prétend défendre les intérêts de la communauté Lendu (agriculteur.rice.s) face notamment à la communauté Hema (éleveur.euse.s et commerçant.e.s). La milice CODECO avait intensifié ses attaques dans les territoires de Djugu, Irumu et Tchomia après le décès de son leader Matthieu Ngudjolo[1] et l’arrestation de ses principaux lieutenants.

Le procès Djugu couvrait les crimes commis dans ces territoires entre décembre 2017 et mars 2020. Les prévenu.e.s étaient accusé.e.s d’avoir lancé de façon généralisée et systématique plusieurs attaques contre la population civile, tuant plus de 800 personnes, incendiant plus de 400 habitations et causant le déplacement de 200 000 personnes.

Cette décision constitue un signal fort adressé aux groupes armés opérant dans la région qui continuent de sévir au mépris des droits des populations civiles, ainsi qu’à l’État congolais, dont la responsabilité est également reconnue par le Tribunal. La RDC se voit ainsi condamnée à la réparation in solidum pour avoir failli à sa mission de protection des populations. La quasi-totalité des victimes, témoins et renseignant.e.s ont fait état de la présence de la police nationale congolaise et des Forces Armées de la République Démocratique du Congo dans les localités où ont été commis les attaques et autres actes répréhensibles reprochés aux prévenu.e.s.

La procédure s’est déroulée dans le respect de la loi et des principes du procès équitable, notamment des délais légaux, malgré les difficultés liées à l’insécurité persistante due à la présence de la CODECO aux alentours d’Iga Barrière.

Ce verdict ne signe toutefois pas la fin du parcours judiciaire des victimes de cette affaire. Les victimes n’obtiennent que très rarement les dommages et intérêts auxquels elles ont droit. La procédure d’exécution d’autres formes de réparations est ainsi loin d’être claire. Il s’agit maintenant de s’assurer que :

  • L’indigence des victimes soit reconnue et que celles-ci soient exonérées des frais liés à la mise en état du dossier et à la procédure d’exécution ;
  • Les autorités administratives et judiciaires procèdent à la mise en état du jugement pour le rendre exécutoire ;
  • Les autorités administratives et judiciaires procèdent à l’exécution effective du jugement ;
  • Les victimes reçoivent effectivement et dans les meilleurs délais les réparations auxquelles elles ont droit.

Le rôle d’ASF dans cette affaire

Cas prioritaire inscrit dans la stratégie de priorisation pour l’Ituri, l’aboutissement de ce procès a nécessité l’engagement des partenaires d’appui à la justice, dont Avocats Sans Frontières qui a été impliquée dans le procès depuis ses débuts. ASF a assuré la documentation et l’encadrement des victimes à travers une organisation de la société civile locale et l’assistance judiciaire des parties civiles par l’intermédiaire de trois avocats membres de son pool Justice Pénale Internationale. ASF a également assuré l’assistance matérielle et/ou financière nécessaire pour que les victimes puissent participer au procès en toute sécurité. Afin de s’assurer que la procédure se déroule dans le respect de la loi et des principes du procès équitable, ASF a enfin mandaté un observateur indépendant, dont les rapports sont disponibles sur la plateforme d’observation de procès d’ASF.

[1] Mathieu Ngudjolo a été jugé et acquitté par la Cour Pénale Internationale pour les faits commis en Ituri à partir de 2002 et 2003.

ASF rejoint la campagne « Poverty is not a crime »

ASF se joint à Open Society Foundation, APCOF, PALU, et ACJR dans une campagne pour promouvoir la dépénalisation et la déclassification des délits mineurs. Le « vagabondage », les « comportements désordonnés » ou encore l’ « oisiveté » demeurent des motifs valables pour arrêter et incarcérer des individus, contribuant notamment à la surpopulation endémique des prisons à travers le monde. Affectant particulièrement les personnes en situation de vulnérabilité, ces lois et leur application sont  arbitraires et discriminatoires. 

Dans de nombreux pays du continent africain, de telles infractions ont été instaurées à l’époque coloniale. Abrogées dans les anciennes puissances coloniales, elles restent en vigueur dans de nombreux États d’Afrique. 

En subissant une réponse pénale face à des problèmes socio-économiques, les populations vulnérables sont encore davantage marginalisées. Le maintien de ces délits mineurs dans le code pénal alimente donc un cercle vicieux. Dans de nombreux pays, la pénalisation des infractions mineures est l’une des principales causes de la surpopulation carcérale. Dépénaliser ces infractions et mettre un terme à la détention de personnes qui ne sont pas un danger à l’ordre public est la seule issue envisageable à long terme.

Dans le cadre de la campagne Poverty is not a crime, plusieurs organisations se sont mobilisées dans le but de dépénaliser ces infractions mineures. Des actions de plaidoyer s’organisent à l’échelle nationale et régionale, en mobilisant les équipes et les partenaires d’ASF.

Dans le cadre d’actions internationales, et à la suite d’une interpellation lancée à l’initiative de la Pan-African Lawyers Union (PALU), la Cour Africaine des Droits des Hommes et des Peuples a statué le 4 décembre 2020 à l’unanimité en faveur de la dépénalisation des délits mineurs. Elle a déclaré ces lois et règlements incompatibles avec la Charte africaine, la Charte des enfants et le Protocole de Maputo. C’est suivant cet avis qu’elle a ordonné aux États concernés de revoir, d’abroger et, le cas échéant, de modifier ces lois et règlements.

La pénalisation des délits mineurs est incompatible avec le principe constitutionnel de l’égalité devant la loi et de la non-discrimination. Ses effets touchent disproportionnellement les couches de la population les plus pauvres, les personnes en situation de vulnérabilité ainsi que les femmes. Ces pratiques portent gravement atteinte à leurs libertés, dont la libre circulation et la liberté d’expression.

ASF salue la décision de la cour africaine et se joint aux organisations de la société civile qui réclament l’abrogation de telles infractions et de toute forme de répression injustifiée. 

Rejoignez la campagne

La RDC doit solder sa dette envers les victimes de crime de masse

Alors que les condamnations pour crimes internationaux se multiplient en RDC, très peu de victimes reçoivent effectivement les réparations qui leur sont attribuées. Un policy brief produit, par Avocats Sans Frontières, TRIAL International et RCN Justice et Démocratie, détaille des procédures démesurément longues et complexes. Endossé par une trentaine d’acteurs de la société civile et partenaires internationaux, le document dénonce une « apparence de justice » qui ne répond pas aux exigences du droit international.

La RDC s’est, depuis le début des années 2000, engagée dans un processus de lutte contre l’impunité. Près de vingt ans après, le bilan est mitigé. Les juridictions congolaises, essentiellement militaires, se sont saisies de plus de cinquante dossiers de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, prononçant un grand nombre de condamnations, et le versement de dommages et intérêts pour les victimes.

Cette apparence de justice est pourtant mise à mal par la réalité des statistiques d’exécution de ces réparations. D’après les données collectées, la justice congolaise a au total ordonné le versement de près de 28 millions de dollars de dommages et intérêts à plus de 3’300 victimes. Ces réparations sont non seulement prononcées dans le chef des accusés, mais également de l’État congolais, à titre solidaire. Or, à ce jour, seule une décision de réparation semble avoir été exécutée.

Un document qui propose des pistes concrètes

C’est pour comprendre l’inexécution systématique des mesures de réparation qu’Avocats Sans Frontières, TRIAL International et RCN Justice & Démocratie ont produit un policy brief à destination des autorités congolaises.

Au-delà des questions de volonté politique, le policy brief s’intéresse aux ressorts juridiques des blocages constatés, qui s’expliquent en grande partie par la lourdeur de la procédure d’exécution des jugements de réparation. Le parcours prévu à cet effet implique un nombre considérable d’étapes et d’interlocuteurs dans des juridictions et administrations fortement entravées par la lenteur administrative et les pratiques corruptives.

Un questionnement profond sur la justice transitionnelle

Si une réforme de cette procédure est indéniablement nécessaire, tant le montant que la structure de la dette de l’État viennent reposer la question des modalités de réparation. En vertu des standards internationaux, celles-ci doivent aussi pouvoir passer par des mesures autres que pécuniaires.

Ceci rappelle en outre la nécessité pour la RDC de s’engager dans une véritable politique de justice transitionnelle, alors que son système pénal ne peut pas seul porter le fardeau de la justice pour les victimes de crimes de masse.

« Ce policy brief va nous permettre de dialoguer avec les autorités congolaises sur la base de données chiffrées et factuelles »  explique Joël Phalip, chef de mission RDC de RCN J&D. « Nous avons formulé un certain nombre de recommandations concrètes et réalistes pour permettre aux victimes d’obtenir réparation. Alors que le Président de la République vient de renouveler son intention de lutter contre l’impunité des crimes de masse et a manifesté le souhait de lancer une démarche de justice transitionnelle, nous disposons d’une fenêtre d’opportunité pour mieux faire entendre nos propositions et prendre les autorités au mot pour les inciter à agir ».

La lutte contre l’impunité continue en République démocratique du Congo

Kinshasa, le 3 juin 2019 – L’accès à la justice est plus que jamais essentiel pour apaiser les tensions dans les provinces du Nord et du Sud Kivu en République démocratique du Congo (RDC), déchirées depuis des décennies par des violences. ASF, RCN Justice & Démocratie (RCN) et TRIAL International y ont lancé le 21 et 23 mai 2019 un projet commun de lutte contre l’impunité. Deux ateliers organisés à Goma et Bukavu ont rassemblé plus d’une centaine d’acteurs de la poursuite contre les crimes internationaux. Compétition pour les ressources naturelles, rivalités régionales et tensions ethniques sont la source de nombreuses violations des droits humains dans le Nord et le Sud Kivu. Si, entre 2016 et 2018, des centaines de victimes ont pu voir leurs auteurs poursuivis et sanctionnés pour crimes de masse, le chemin est encore long pour que tous les responsables soient jugés et que les victimes obtiennent réparation. Financé par l’Union européenne pendant 3 ans, le projet « Soutenir les efforts de la lutte contre l’impunité en République démocratique du Congo » a pour objectif de renforcer l’accès à la justice des personnes et communautés victimes de crimes internationaux.

Une réponse coordonnée aux enjeux identifiés

« L’intervention bénéficie des expériences et expertises combinées de nos trois organisations, garantissant une réponse coordonnée aux enjeux identifiés, tant au niveau de la demande que de l’offre de justice, » explique Gilles Durdu, Directeur pays d’ASF. « La clé du succès du projet réside dans une coordination accrue, entre nos organisations mais aussi entre tous les acteurs du secteur », confirme Daniele Perissi, Responsable du programme Grands Lacs pour TRIAL International. « Ensemble, nous espérons élaborer une stratégie nationale réellement efficace pour poursuivre les crimes les plus graves. » Les ateliers de lancement du projet ont précisément été l’occasion pour les acteurs conviés de réfléchir ensemble aux enjeux et défis actuels de la lutte contre l’impunité des crimes internationaux en RDC, et de réaffirmer l’importance d’agir de concert afin d’y apporter une réponse holistique. Joel Phalip, Chef de mission pour RCN, précise : « Cette réponse passera entre autres par le renforcement des capacités techniques des acteurs de l’offre de justice (notamment les cours et tribunaux civils et militaires). Nous souhaitons également renforcer la participation des victimes à toutes les étapes des procès, et la collaboration entre les victimes et les acteurs judiciaires. »

Une volonté commune de coopération

Les participants ont, eux aussi, insisté sur l’importance de la coordination et de la collaboration dans le secteur, comme le souligne Walid Henia, Conseiller militaire sur les enquêtes au sein de la MONUSCO et responsable de la Task Force de Bukavu : « Nous devons être ensemble, fédérer nos énergies et mener des actions en synergie, pour apporter un meilleur appui aux autorités judicaires dans la lutte contre l’impunité des crimes graves ou crimes de masses, pour les victimes ». Deux autres participants complètent : « Nous devons absolument trouver des outils et des moyens d’harmoniser nos connaissances et nos manières d’agir ensembles. » « Pour une plus grande transparence, nous avons vraiment besoin de tous collaborer, cours et tribunaux, ONG, organisations de la société civile, partenaires techniques et financiers, médias… cela nous permettra de déconstruire de nombreux clichés et stéréotypes qui entourent la justice et la poursuite des crimes pénaux internationaux, et de recréer un lien de confiance avec les populations. »
Photos © ASF/Camille Burlet

Acquittement de Jean-Pierre Bemba: il est urgent d’en tirer les leçons

Bruxelles, le 11 juin 2018 – L’acquittement en appel de Jean-Pierre Bemba par la Cour pénale internationale laisse plusieurs milliers de victimes centrafricaines sans réponse face aux violences extrêmes qu’elles ont subies dans le cadre du conflit armé. En 2016, la Cour pénale internationale (CPI) avait reconnu l’ancien vice-président de la République démocratique du Congo, Jean-Pierre Bemba, responsable des crimes commis par ses forces du Mouvement de Libération du Congo contre la population civile centrafricaine entre octobre 2002 et mars 2003, en soutien au régime d’Ange-Félix Patassé. Il avait été condamné en première instance à 18 ans d’emprisonnement pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. La décision prise en appel ce vendredi 8 juin par la CPI d’acquitter Monsieur Bemba, porte un sérieux coup aux attentes des 5.000 victimes qui s’étaient manifestées et, plus largement, aux perspectives de justice pour les crimes commis en République centrafricaine. Un tel résultat après dix années de procédure laisse un goût amer quant à la capacité de la justice internationale, incarnée ici par sa plus haute instance, à mener la lutte contre l’impunité. L’argument selon lequel M. Bemba ne contrôlait pas ses troupes déployées sur le territoire centrafricain, risque d’envoyer un signal particulièrement inquiétant à tous les commandants de factions opérant dans la région et faisant justement fi des frontières. Si cet acquittement est sans doute légitime d’un point de vue strictement juridique et témoigne du respect des standards internationaux du procès équitable, il laisse démunies plusieurs milliers de victimes, notamment de violences sexuelles. Celles-ci se retrouvent privées de reconnaissance et de réparation, offrant un contraste saisissant avec l’ampleur des ressources mobilisées dans le dossier. Les victimes ont été fortement sollicitées dans le cadre de cette affaire et ont nourri d’importants espoirs, en l’absence de toute autre perspective de justice à court terme. Leur participation dans ce type de procédure représente bien souvent un risque pour elles-mêmes et leurs familles, qui se retrouvent exposées à des pressions et menaces de représailles. L’affaire Bemba n’y fait pas exception, l’accusé ayant été lui-même condamné par la CPI pour subordination de témoins. Cette décision risque de semer le discrédit sur la justice internationale, rendant encore plus difficile le travail mené auprès des victimes par ASF et d’autres organisations. Ceci est particulièrement malvenu à l’heure où la Cour pénale spéciale pour la République centrafricaine se met en ordre de marche à Bangui. En attendant la publication du jugement, ASF invite à tirer les premières leçons de cette affaire. Elle insiste sur la nécessité de permettre l’accès à la justice et aux réparations pour les victimes des conflits armés au-delà de la Cour pénale internationale, en renforçant les mécanismes nationaux de poursuite des crimes internationaux, et en développant des mécanismes plus larges de justice transitionnelle. Elle appelle également à tout mettre en œuvre afin d’éviter que le moment de la justice ne se transforme pour les victimes en un nouveau préjudice, où le déni de justice viendrait s’ajouter à celui d’origine.
Photo © CPI-ICC, 2017

Le thème de la représentation légale des victimes s’invite à l’Assemblée des Etats Parties au Statut de Rome

Bruxelles, le 18 décembre 2017 – A l’occasion la Seizième Assemblée des Etats Parties au Statut de Rome, ASF co-organisait avec REDRESS un évènement parallèle sur la représentation légale des victimes devant la Cour pénale internationale (CPI), l’International Crimes Division (ICD) en Ouganda et la Cour Pénale Spéciale (CPS) en République Centrafricaine (RCA). Cet évènement était l’occasion de dresser un bilan des pratiques de représentation des victimes aux procédures pénales en matière de crimes graves. La participation des victimes constitue en effet l’une des grandes avancées du droit international pénal, dont le catalyseur fut sans nul doute le Statut de Rome. Ses dispositions en la matière ont depuis influencé grand nombre de juridictions hybrides ou domestiques, établies ou mandatées en vue de la poursuite de ces crimes internationaux. La participation des victimes a ainsi été récemment introduite devant l’ICD en Ouganda, pourtant juridiction de common law dont la participation en matière pénale se limite à une déclaration de la victime. Pour autant, la pratique de la participation des victimes n’est pas sans défis, notamment s’agissant de leur représentation par un avocat. La CPI n’a eu de cesse de recourir à la représentation commune des victimes, une possibilité ouverte par le Statut de Rome. L’affaire Ongwen en Ouganda a cependant fait émerger les limites de l’approche adoptée par les organes de la Cour, lorsque l’aide légale fut dans un premier temps refusée aux victimes ayant choisi un représentant ougandais (plus de 2.600 à l’heure actuelle), la Cour lui préférant le Bureau du Conseil public pour les victimes. Les difficultés rencontrées par les victimes devant la CPI peuvent servir de leçon dans le développement des cadres normatifs d’autres juridictions, telles que la CPS en RCA, dont le projet de Règlement de Procédure et de Preuve prévoit également la possibilité de représentation commune. Or, la composition du Corps spécial d’avocats de la CPS, qui assurera tant la représentation des accusés que des victimes, suscite de nombreuses questions, à commencer par l’équilibre entre avocats internationaux et centrafricains, ainsi que les conditions de l’aide légale. Les données récoltées par ASF sur le terrain soulèvent en effet de nombreux enjeux de représentativité de ces avocats, dans un contexte marqué par de fortes tensions ethniques, qui seront sans doute au cœur des travaux de la CPS. Il est donc crucial pour la CPS de prendre en compte ces difficultés dans le développement de ses activités, pour mieux tenter de les surmonter, et s’atteler ainsi au renforcement du système judiciaire dans son ensemble. Si le choix de leur représentant par les victimes de crimes internationaux peut se voir limiter pour des raisons logistiques et financières, la représentation légale se doit in fine d’être basée sur une relation de confiance et de transparence entre l’avocat et son client. Cette relation est clé dans la recherche de justice, dont le but ultime devrait être la délivrance d’une réparation adaptée au dommage subi, fondée sur les aspirations et attentes des victimes.
L’évènement parallèle a reçu le soutien des gouvernements du Royaume Uni et de Finlande et était organisé sous l’égide du Groupe de travail sur les droits des victimes.
>> Télécharger le programme de l’évènement parallèle (PDF)